Nigeria

Nigeria

Le fédéralisme du Nigeria est confronté à des tensions ethniques et religieuses croissantes, sur fond de crise économique et pétrolière.

923 768 km²

République fédérale présidentielle, membre du Commonwealth

Capitale : Abuja[1]

Monnaie : le naira

237 millions de Nigérians[2]

[1] Depuis 1991, car jugée plus centrale que l’immense métropole portuaire de Lagos.

[2] Pays africain le plus peuplé. En 2050, la population pourrait approcher 400 millions.

Ouvert sur les golfes du Bénin et du Biafra au sud (avec 853 km de littoral), le Nigeria compte 4 477 km de frontières terrestres avec quatre pays : 809 avec le Bénin avec l’ouest, 1 608 avec le Niger au nord, 85 km au nord-est avec le Tchad (avec lequel il partage le lac homonyme, cf. Tchad) et 1 975 km à l’est avec le Cameroun (auquel il dispute la péninsule de Bakassi, cf. Territoires disputés).

D’une altitude moyenne de 380 m, le relief nigérian est d’une grande diversité. Il est composé de savanes sèches dans le nord sahélien, de collines et de plateaux plus ou moins hauts dans la région centrale du Middle belt (domaine de la savane humide), de montagnes au sud-est (où se situe, à la frontière du Cameroun, le point culminant à plus de 2 400 mètres) et de basses terres au sud. C’est là que se situe le vaste delta du Niger, le fleuve auquel le pays doit son nom (comme la République du Niger voisine)[1]. Riche en pétrole, le delta s’étend sur environ 26 000 km2 et possède une façade maritime de 250 km ; comptant une quarantaine d’ethnies, il constitue une des zones rurales les plus densément peuplées du Nigeria (jusqu’à 600 habitants au km²). Équatorial au sud, le climat est tropical dans les savanes humides du centre, tempéré sur le haut plateau de Jos (ou du Bauchi) à l’est et aride au nord.

[1] La fédération du Nigeria compte elle-même un État fédéré appelé Niger, le plus vaste du pays (76 000 km²). Traversé par le fleuve éponyme, il est frontalier du Bénin, au centre-ouest.


Le Nigeria compte plus de deux cent cinquante ethnies, parlant quelque cinq cents langues et dialectes. La plus nombreuse est celle des Haoussa (30 %) au nord, suivis des Yoruba au sud-ouest et des I(g)bo au sud-est (un peu plus de 15 % chacun). Suivent les Peul (ou Fulani 6%) au nord, les Tiv au centre et les Kanouri/Beriberi au nord-est (un peu plus de 2 % chacun), les Ibibio et les Ijaw/Izon au sud (un peu moins de 2 % chacun)… L’anglais est langue officielle : il est surtout pratiqué sous la forme d’un pidgin, le « naija ». Le haoussa (également parlé par les Peuls) a le statut de langue nationale, de même que l’ibo et le yoruba (qui compte une vingtaine de dialectes).

Pour en savoir plus sur les ethnies au Nigeria : https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2003-4-page-857.htm

La population est musulmane à un peu plus de 53 % (dont 2 % de chiites dans le nord) et chrétienne à 46 % (aux trois quarts protestante évangélique). Les religions traditionnelles, mêlées à d’autres cultes, concerneraient environ 5 % des habitants. Les Haoussa et les Fulani du nord sont musulmans et les Ibo du sud-est chrétiens. Les Yoruba du sud se répartissent entre musulmans (un peu plus de la moitié), chrétiens (entre 30 et 40 %) et animistes. Islam et christianisme sont en forte concurrence dans la région fertile du « Middle belt » au Centre (dont les États du Plateau, d’Adamawa et du Niger, ainsi que le district fédéral d’Abuja), où vit le quart de la population, réparti en une centaine d’ethnies telles que les Tiv, les Jukun, les Nupé, les Berom, les Tarok et les grands groupes du Nord ; les chrétiens y sont environ 65 %, les musulmans 25 % et les animistes 10 %.

De trois à l’indépendance (Nord, Ouest et Est), le nombre d’États fédérés nigérians est passé progressivement à trente-six.

Le fractionnement ethnique a en effet été institué comme mode de gouvernement par les autorités fédérales. Ainsi l’État de Rivers (issu de celui de l’Est) a été découpé en deux en 1996 : le Bayelsa pour les Ijaw et le reste de Rivers pour les autres ethnies. Issu lui aussi de l’État oriental, celui de Cross River a connu le même sort en 1987, avec la création du nouvel État d’Akwa Ibom. Le grand État Igbo du Centre-Est n’a pas échappé à ces vicissitudes : ses découpages successifs (en 1976, 1991 et 1996) ont donné naissance à cinq États. Sur la rive droite du delta, l’État du Centre-Ouest – issu du grand État de l’Ouest en 1963 – a été divisé entre les États du Delta et d’Edo en 1991.


Née en 1914, sous la domination du Royaume-Uni, la Fédération du Nigeria résulte de la jonction de deux entités : le protectorat du Nigeria du nord musulman, administré par un gouverneur général laissant une large place aux émirs locaux (indirect rule), et le protectorat du Nigeria du sud, couvrant les pays yoruba et ibo et administré directement par Londres au même titre que la colonie de Lagos, sur le golfe de Guinée. Lorsque la question de l’indépendance se présente, dans les années 1950, la scène politique nigériane reflète la partition géographique et ethnique du pays : le Groupe d’action (AG), dominé par les Yoruba, est prédominant dans la région de l’Ouest , créée en 1939 par partition du Sud en deux régions ; le NCNC (Congrès national des citoyens nigérians), animé par les Ibo, domine la région de l’Est ; le Congrès du peuple du Nord (NPC) est le parti des Haoussas et des Peuls ; quant aux minorités ethniques, elles constituent des formations qui jouent le rôle de partis-charnières.

Malgré la clause qui accorde 52 % des sièges de la Chambre des représentants aux populations du Nord, le NPC ne parvient pas à accéder directement au pouvoir à l’issue des élections de 1959 : les deux grands partis de l’Est et de l’Ouest se sont en effet alliés à des petits partis nordistes pour gouverner. Craignant une sécession des zones septentrionales, les Britanniques suscitent une alliance entre le NPC haoussa-peul et le NCNC ibo qui se partagent les postes à responsabilité, lorsque le Nigeria accède à l’indépendance en octobre 1960 : Abubakar Tafawa Balewa, un des leaders du NPC, devient Premier ministre fédéral et Nnamdi Azikiwe, chef du NCNC, gouverneur général. Il accède à la Présidence, lorsque la république est proclamée en octobre 1963.

Les indépendances africaines sont à peine proclamées que la communauté internationale doit résoudre le sort de l’ancien Cameroun allemand, administré par Londres depuis la fin de la Première guerre mondiale. Son indépendance étant exclue, l’ONU organise un référendum, en février 1961, pour demander aux populations de choisir entre un rattachement au Nigeria ou bien au Cameroun nouvellement indépendant. Si la partie méridionale, majoritairement chrétienne et animiste, choisit la seconde option, la petite moitié septentrionale, en majorité musulmane, décide de rejoindre la fédération nigériane, qui s’agrandit donc d’environ 43 000 km².

La Fédération connaît ses premiers craquements, d’abord dans la communauté Yoruba dont certains dirigeants n’acceptent pas que leur parti ait été écarté du pouvoir fédéral. Des troubles ayant éclaté dans la région Ouest, le Premier ministre fédéral y instaure l’état d’urgence et fait arrêter le chef de l’AG, Obafemi Awolowo. Pour affaiblir le Groupe d’action, le pouvoir décide de créer une nouvelle région du Centre-Ouest, détachée de l’Ouest, et favorise la création d’un parti Yoruba concurrent, le Parti des peuples unis (UPP). L’entente au sommet de l’État fédéral n’est pas pour autant au beau fixe entre le Président et le chef du gouvernement, de sorte qu’un retournement d’alliance survient aux élections fédérales de 1964, chacun des deux grands partis au pouvoir s’alliant avec sa formation yoruba : le NCNC ibo avec l’AG et le NPC nordiste avec l’UPP.


La tension entre dirigeants ne retombant pas, un coup d’État militaire sanglant survient en janvier 1966 : le Premier ministre fédéral est exécuté, de même que le Premier ministre yoruba de l’Ouest, le Premier ministre du Nord et le sultan de Sokoto. Bien que destitué, le chef de l’État fédéral échappe en revanche à la mort, en raison de son origine Ibo. La grande ethnie de l’Est apparaît en effet à la manœuvre, le chef de l’armée appartenant lui-même à cette communauté. Le coup de force entraîne des émeutes dans les régions septentrionales et le massacre de 100 000 Ibo, avant que le général Ironsi ne soit lui-même éliminé par des soldats du Nord, six mois après s’être emparé du pouvoir. Un autre général, Yakubu Gowon, prend alors les rênes. Membre de la petite ethnie des Anga, originaire du plateau nordiste de Bauchi, il s’efforce de contenter les petites communautés en portant à douze le nombre des États fédérés.

Mais les Ibo n’ont pas dit leur dernier mot. En mai 1967, le colonel Ojukwu proclame l’indépendance de sa région Est sous le nom de République du Biafra[1] : s’étendant sur un peu moins de 80 000 km², elle est très majoritairement peuplée d’Ibo, mais aussi des nombreux peuples du delta du Niger qui, eux, ne sont guère favorables à la sécession. Celle-ci n’en est pas moins effective et engrange des succès en direction de l’ouest : après s’être emparée de Benin City, en pays Edo, elle se dirige vers Lagos, alors capitale fédérale, avant de devoir se replier. Pour la Fédération, le séparatisme du Biafra est d’autant moins envisageable qu’il possède l’essentiel des ressources de pétrole qui ont été découvertes, en 1958, dans le delta. Soutenues par l’URSS et le Royaume-Uni (qui s’inquiète de la présence soviétique) – quand les séparatistes bénéficient d’aides françaises, chinoises, israéliennes et portugaises – les forces fédérales s’emparent de Port-Harcourt, la grande ville du delta, en mai 1968 et instaurent le blocus de la province rebelle. Un million de personnes vont alors mourir, essentiellement de famine, ce qui pousse Ojukwu à capituler, en janvier 1970 (cf. article dédié).

Fort de sa victoire, le général Gowon engage un programme de réconciliation et de développement favorisé par une exploitation pétrolière en plein essor. Mais son pouvoir est précaire et, en juillet 1975, il est renversé par un général musulman du Nord qui, meurt assassiné au début de l’année suivante. Sa succession est prise par son adjoint, le général Obasanjo, un Yoruba chrétien, qui fait passer à dix-neuf le nombre d’États fédérés et promeut une nouvelle Constitution avec la promesse, tenue, de rendre le pouvoir aux civils.

[1] Le golfe du Biafra tient son nom de Biafara, capitale d’un État mystérieux localisé par les Portugais au XVe siècle en retrait de la côte, entre les royaumes du Bénin et du Loango.


Entrée en vigueur en 1979, la IIe République tient ses premières élections, qui voient s’affronter trois nouveaux partis : le Parti national du Nigeria (NPN) à dominante Haoussa-Peule, le Parti du peuple nigérian (NPP, issu du NCNC) majoritairement implanté chez les Ibo et dans la Middle belt, et le Parti uni du Nigeria (UPN) qui succède à l’AG yoruba. Le scrutin présidentiel ayant été remporté par le candidat du NPP, celui-ci devient donc Président. Mais les vieux démons de la scène nigériane resurgissent, avec le retour d’affrontements dans les villes du Nord, d’abord entre clans musulmans, puis entre musulmans et chrétiens. L’UPN yoruba et le NPP ibo font alors cause commune aux élections de 1983, sans pouvoir empêcher la victoire du NPN nordiste, au prix d’une fraude si massive que le pays se déchire. Une nouvelle fois, l’armée intervient : à la fin de l’année, elle porte au pouvoir le général Buhari.

Mais ce fils d’un chef de tribu Peul et d’une mère Haoussa et Kanouri apparaît très vite comme trop favorable aux intérêts de ses congénères septentrionaux, ce qui lui vaut d’être déposé, en 1985, par le général Babangida, originaire du Middle Belt. Réprimant toute forme d’opposition, ce dernier s’efforce de mettre en place un semblant de démocratisation, dont les signes les plus visibles sont la rédaction d’une nouvelle Constitution et l’instauration du bipartisme en 1989. Au passage, le nombre d’États fédérés passe à vingt-et-un, puis à trente-et-un en 1991, année au cours de laquelle la capitale fédérale est transférée de Lagos à Abuja, au centre du pays. En juin 1993 se tient une nouvelle élection présidentielle dont le vainqueur, le Yoruba musulman Abiola, se voit voler son succès. Les émeutes qui éclatent alors à Lagos et dans le sud du pays contraignent Babangida à se retirer et à céder le pouvoir à un gouvernement d’union nationale qui est destitué, en novembre, par son propre ministre de la Défense.

Le nouveau chef de l’État est un Kanouri né en pays haoussa, le général Abacha, qui instaure un régime dictatorial et abandonne les quelques réformes économiques lancées par son prédécesseur. Le pays s’enfonçant dans la misère et la corruption, Abiola se proclame Président en 1994, ce qui lui vaut d’être emprisonné pour trahison. Des grèves éclatent alors dans le Sud, notamment chez les employés du pétrole, accentuant encore plus la crise économique. L’année suivante, le régime accroit son isolement diplomatique en faisant pendre publiquement neuf dirigeants Ogoni, petite ethnie du delta qui dénonçait la pollution de son environnement par l’exploitation pétrolière. Ayant porté le nombre d’États fédérés à trente-six (son nombre actuel), Abacha décède subitement en juin 1998. Il est suivi un mois plus tard d’Abiola, qui meurt en prison.


Successeur d’Abacha, le général Abubakar, originaire du Middle Belt, s’engage à rendre le pouvoir aux civils, ce qu’il fait dès l’année suivante. Les élections de 1999 mettent aux prises trois nouvelles formations, issues d’une refonte des règles électorales : l’Alliance pour la démocratie (AD) du pays yoruba, le Parti de tous les peuples du Nigeria (ANPP) regroupant les conservateurs du Nord et le Parti démocratique du peuple (PDP) dans le Nord et le Sud-Est. C’est ce dernier qui remporte la présidentielle avec l’ancien général putschiste Obasanjo, tout juste retraité de l’armée. Bien que Yoruba, le nouvel élu est considéré comme inféodé aux intérêts nordistes et n’obtient d’ailleurs que de faibles scores dans sa région d’origine. Il est reconduit en 2003, lors des premières élections organisées depuis vingt ans par un pouvoir civil, en dépit des multiples reproches qui lui sont faits : corruption, voyages incessants (la presse l’a surnommé le « président volant »), « mépris des règles de droit » et incapacité à juguler les violences ethniques et religieuses ayant fait 10 000 morts de 1999 à mi-2003.

Les conflits entre communautés se multiplient pour le contrôle des terres, en particulier dans la « ceinture du milieu » : le manque d’eau pousse en effet les éleveurs du nord et les cultivateurs plus au sud à convoiter les mêmes surfaces fertiles, au-delà des appartenances religieuses : ainsi, les bergers Peul se plaignent d’avoir de moins en moins de terre où faire paître leur bétail face à l’expansion des cultures des Haoussa, ce qui peut générer des attaques de villages et des heurts meurtriers. Il suffit parfois d’un rien pour déclencher des émeutes : une femme Haoussa qui a « osé » assister à une cérémonie Yoruba à Kano en 1999 (une soixantaine de morts) ; l’annonce que l’élection de Miss monde allait se tenir à Abuja en 2002, après l’élection d’une Nigériane chrétienne l’année précédente (deux cents morts, lardés de coups de couteau, brûlés vifs et soumis au « supplice du collier » dans la capitale fédérale et à Kaduna) ; le début de construction d’une mosquée près de la maison du chef des Bachama, une ethnie chrétienne, dans l’État d’Adamawa en 2004 (une cinquantaine de morts)… Signes de la montée des tensions confessionnelles : l’instauration de la charia dans douze États fédérés du Nord à partir de 2000 (sans opposition majeure du pouvoir fédéral) et la montée en puissance de l’islamisme radical incarné par le groupe Boko Haram.

Étant dans l’impossibilité de briguer un troisième mandat en 2007, en vertu de la Constitution de 1999, Obasanjo fait investir comme candidat présidentiel le gouverneur peu connu de l’État nordiste de Katsina, au lieu de son vice-Président. L’opération est un succès puisque Umaru Yar’Adua est élu dès le premier tour, dans des conditions suspectes (il obtient dix-huit millions de voix de plus que son principal adversaire). Mais le nouveau chef d’État, malade, ne va pas au bout de mandat : début 2010, les autorités judiciaires le remplacent par son vice-Président, Goodluck Jonathan. Devenu le premier Ijaw à accéder à la tête du Nigeria, le Président intérimaire sollicite et obtient l’investiture du PDP, contre l’ancien putschiste Babangida et contre les règles du parti, selon lesquelles c’est un Nordiste qui aurait dû concourir comme successeur de Yar’Adua, avant qu’un Sudiste ne prenne le relais pour deux mandats et ainsi de suite. Goodluck Jonathan est élu dès le premier tour des présidentielles de 2011 avec 59 % des voix, mais dans des conditions (99,5 % des suffrages dans son État natal) qui alimentent les soupçons et les contestations parmi les jeunes musulmans de Jos et de tous les grands États et villes du nord (Kaduna, Sokoto, Kano…). Les violences, accompagnées de pillages de commerces chrétiens et de destructions d’églises, font plus de cinq cents morts.

Le pays doit également compter avec les chiites pro-iraniens du Mouvement islamique du Nigeria (IMN, fondé en 1980), dont les processions sont visées par les intégristes sunnites, mais aussi par les forces de l’ordre. En décembre 2015, l’armée lance une vaste offensive à Zaria (Etat de Kaduna) contre le mouvement, accusé d’avoir essayé de bloquer le convoi du chef d’État-major, afin de l’éliminer. L’intervention des militaires fait plusieurs dizaines de morts et aboutit à la capture du chef de l’IMN, Ibrahim Zakzaky. Onze mois plus tard, une dizaine de personnes périssent à Kano, lors de heurts entre forces de l’ordre et militants de l’IMN célébrant la fête chiite de l’Achoura. La violence religieuse n’est pas l’apanage des musulmans et des chrétiens. Dans l’État central de Nasarawa (près d’Abuja), la secte Ombtase (« Le temps est venu ») affronte les forces de l’ordre et se livre à des conversions forcées au sein de l’ethnie Eggon. Ces mystiques païens se sont donné pour mission de purifier la société et de la purger de vices tels que l’alcool, le tabac ou encore l’adultère.


En 2013, pour contrer la toute-puissance du PDP (qui truste le pouvoir depuis le retour de la démocratie en 1999), trois partis d’opposition se regroupent dans le All Progressive Congress (APC). La manœuvre est concluante puisque, deux ans plus tard, leur candidat Buhari remporte le scrutin présidentiel : après plusieurs candidatures infructueuses, l’ancien général putschiste, originaire de l’État de Katsuna, remporte près de 54 % des suffrages face au Président sortant. L’APC l’emporte dans la quasi-totalité des États du nord et dans le district de Lagos, alors que le PDP gagne dans le sud. L’année suivante, le Nigeria s’enfonce dans une grave crise économique. La population croît plus vite que le PIB, d’autant que la production de pétrole (qui assure 90 % des exportations) stagne, voire baisse, du fait de l’instabilité, de l’économie parallèle (un tiers de ce qui est extrait serait perdu ou volé), du vieillissement des installations ou de leur sabotage par les rebelles du delta du Niger. En octobre 2018, des milliers de partisans chiites de l’IMN manifestent à Abuja pour réclamer la libération de leur chef (dont la détention a été jugée illégale par un tribunal fédéral), mais l’armée ouvre le feu sur la foule, faisant une quarantaine de morts (quant-à Zakzaky, il est inculpé en 2021 pour « terrorisme et trahison »).

En dépit de cette situation, de sa mauvaise santé et de son immobilisme (qui lui a valu le surnom de « Baba go slow »), Buhari est confortablement réélu pour un nouveau mandat en 2019 à la tête du Nigeria : s’il bénéficie de sa réputation d’incorruptible (qui ne vaut pas toujours pour son entourage), la participation a tout juste dépassé 40 % et le sortant a perdu beaucoup de voix, y compris dans son fief de Kano. En octobre 2020, la dégradation de la situation économique entraîne d’importantes manifestations contre les brutalités policières et la mauvaise gouvernance du pays. D’abord pacifiques, elles tournent à la violence, avec l’attaque d’une prison de l’État d’Edo et de commissariats à Lagos, Ibadan et Benin City, et des heurts intercommunautaires à Abuja…. Un couvre-feu est instauré à Lagos et des manifestants tués par les forces de l’ordre ou des bandes de délinquants payés par les autorités pour semer le trouble et justifier l’intervention des forces de sécurité. En novembre 2021, un rapport au gouverneur de l’État de Lagos accuse les forces de sécurité nigérianes d’avoir tiré sur des manifestants qui ne faisaient qu’agiter des drapeaux nigérians et chanter l’hymne national, mais aussi d’avoir empêché les ambulances de secourir les blessés.

En 2023, l’APC parvient toutefois à conserver le pouvoir avec un Yoruba musulman, ancien gouverneur de Lagos : surnommé « le parrain » (en raison de son rôle de faiseur de rois au sein du parti et d’accusations, restées sans suite, de corruption), Bola Tinubu l’emporte avec 35 % des suffrages devant le candidat du PDP (28 %) et un nouveau venu, un chrétien venu troubler le bipartisme traditionnel à la tête du Parti travailliste (24 %) ; pour la première fois depuis l’instauration de la IVe République, en 1999, aucun militaire n’était candidat. L’élection présidentielle la plus disputée de l’histoire du Nigeria est aussi la moins suivie, avec seulement 27 % de participation et des accusations de fraudes et de manipulations. L’APC a par ailleurs perdu la plus grande ville du pays, ainsi que Kano et Abuja.

Sur la scène régionale, les relations se tendent avec le Niger, où des militaires se sont emparés du pouvoir. En décembre 2024, la junte de Niamey accuse le Nigeria de soutenir les terroristes qui endommagent régulièrement le pipeline acheminant le pétrole nigérien jusqu’au Bénin.

Crédit photo : Tope A. Asekere / Pexels