580 367 km²
République présidentielle
Capitale : Nairobi
Monnaie : shilling kényan
58 millions de Kényans
Bordé par 536 km de côtes sur l’océan Indien au sud-est, le Kenya possède 3457 km de frontières terrestres avec cinq pays : 684 km avec la Somalie à l’est, 867 km avec l’Éthiopie au nord, 317 km avec le Sud-Soudan au nord-ouest, 814 km avec l’Ouganda à l’ouest et 775 km avec la Tanzanie au sud (dont une partie traverse le lac Tanganyika).
A la suite de traités ambigus datant de l’époque coloniale – et dont le but était de protéger les nomades Turkana des tribus avoisinantes – le Kenya administre le triangle l’Ilemi, territoire d’une superficie imprécise (entre 10 320 et 14 000 km2) que revendiquent aussi l’Éthiopie et le Soudan du Sud. Il est également en conflit avec la Somalie à propos d’une zone maritime poissonneuse et potentiellement riche en pétrole et en gaz. Ayant déjà accordé des concessions pétrolières, Nairobi rejette la décision rendue en octobre 2021 par la Cour internationale de justice qui a attribué 93 000 km² dans la zone des 200 milles nautiques et 120 000 km² au Kenya, renvoyant à une Commission spéciale la délimitation au-delà de cette zone. Le Kenya érige également un mur de 700 km, le long de sa frontière avec la Somalie, afin d’empêcher l’infiltration d’islamistes shebab sur son sol (cf. infra).
Le relief est constitué de plaines littorales qui s’élèvent jusqu’à la chaîne des monts Aberdare, avant de décroître en direction de l’ouest et du nord. A quelques dizaines de kilomètres à l’est de la chaîne montagneuse, culmine le second plus haut sommet d’Afrique : le mont Kenya (5199 mètres), volcan éteint dont le nom signifie « montagne de l’autruche » dans la langue des Kimba vivant à son pied. Formé de plateaux fertiles, le tiers occidental du pays est séparé du reste par la vallée du Grand Rift, large de 45 à 100 km et dont la profondeur maximale dépasse 1500 m. Le climat est tropical sur les côtes et aride à l’intérieur.
Le pays compte une soixantaine de tribus officielles, subdivisées en multiples sous-tribus. Les plus nombreuses sont celles d’origine bantoue : Kikuyu, Luhya, Kisii, Meru, Embu… A part presque égale, le groupe d’origine nilotique comprend les Luo, les Kalenjin (fédération de tribus proches telles que Kipsiki, Nandi, Tugen, Pokot), ainsi que des nomades Masai et Turkana (également présents en Tanzanie). Viennent ensuite les ethnies du groupe couchitique (Ormas, Somalis, Boranas). Certaines tribus ont une culture mixte, tels que les Mijikenda établis sur la côte. Majoritairement présents au centre du pays, les Kikuyu représentent un peu plus de 20 % de la population, devançant les Luhya, les Luo, les Kalenjin et les Kamba (entre 10 et 14 % chacun). Les autres ethnies comptent pour moins de 10 %, à l’image des Somalis (6 %) présents à la frontière avec la République somalienne. Le (ki)swahili et l’anglais sont langues officielles.
Plus de 85 % des Kényans sont chrétiens, d’obédiences multiples : protestants (33 %), catholiques (20 %), évangéliques (20 %), églises africaines (7 %). Les musulmans sont environ 11 %, présents essentiellement sur un littoral qui fut longtemps sous la domination de marchands arabes et persans (dont le sultanat de Zanzibar).
L’indépendance du pays est proclamée en décembre 1963, sous la houlette de Jomo « Kenyatta« , leader de la KANU (Union nationale africaine du Kenya), le parti représentant les Kikuyu et les Luo, qui a largement remporté les législatives devant la KADU (Union démocrate africaine du Kenya), la formation des Kalenjin et des populations du littoral. Leader de l’association ayant lutté contre l’accaparement des terres par les colons européens, Kenyatta avait été emprisonné en 1952, lors de la révolte Mau Mau des Kikuyu, bien que n’y ayant joué aucun rôle[1]. La KANU devient un parti unique, de facto puis de jure, par intégration de la KADU et interdiction de l’Union des peuples kényans (KPU), fondée par un dissident Luo qui estime que son ethnie, la troisième du pays, ne tire pas assez de bénéfices de son alliance avec les Kikuyu.
A la mort de Kenyatta, en 1978, son dauphin Daniel Arap Moi lui succède. Membre d’une petite ethnie du groupe Kalenjin, le nouveau chef d’État s’appuie sur sa communauté et sur les Masai, renvoyant les Kikuyu et les Luo dans l’opposition. Au début des années 1990, des bandes armées des ethnies au pouvoir chassent 300 000 Kikuyu de la région de Nakuru, dans la vallée du Rift, où Kenyatta les avait installés. La restauration du multipartisme, en 1991, n’empêche pas le Président sortant de remporter de nouveau les élections, ainsi que celles de 1997, en jouant sur les divisions de l’opposition et sur la fraude électorale.
Mais l’opposition parvient à s’unir, au sein d’une Coalition nationale Arc en ciel (NARC) et remporte le scrutin de 2003, sans violences ni fraudes, aux dépens de Uhuru Kenyatta, le fils du « père de la Nation » investi par la KANU. Ancien ministre Kikuyu, le Président Kibaki est réélu en 2007. Mais c’est au prix de fraudes si manifestes que son challenger Raila Odinga (fils du fondateur de la KPU) conteste le résultat. Les violences ethniques qui s’ensuivent font plus de 1100 morts en deux mois et provoquent le déplacement de centaines de milliers de personnes. Les agresseurs des Kikuyu sont le plus souvent des Kalenjin, tandis que les Kikuyu font appel aux services de la secte mafieuse des Mungiki, née dans les années 1990. Une médiation africaine parvient à mettre fin au conflit, via la constitution d’un gouvernement d’union nationale qui compte une quarantaine de ministres et une cinquantaine de ministres délégués !
[1] Les Mau Mau n’occupent d’ailleurs aucune place dans la nouvelle administration et ne seront reconnus « héros de la nation » qu’en 2003.
En 2010, les Kényans adoptent une nouvelle Constitution qui supprime le poste de Premier ministre et limite les pouvoirs présidentiels au profit d’un Parlement bicaméral et des gouverneurs locaux, sous le contrôle d’une Cour Suprême. Elle ouvre aussi la voie à une importante réforme foncière et instaure un mode de scrutin plus équitable : dans le précédent, le vainqueur raflait tous les postes, ce qui avait fait la fortune des Kikuyu avec Kenyatta puis celle des Kalenjin avec Arap Moi. Seul bémol, dans un pays à majorité chrétienne, les musulmans conservent le droit de se tourner vers les cours islamiques pour leurs différends familiaux.
Kibaki ne pouvant se représenter en 2013, Uhuru Kenyatta est le premier Président élu dans le nouveau cadre constitutionnel, à la tête de sa nouvelle Alliance du Jubilé. Allié aux Kalenjin, pour mettre fin aux violences entre les deux principales communautés du pays, il remporte le scrutin avec à peine plus de 50 %, devant Odinga, qui a essayé de fédérer les Luo, les Luhya et les populations côtières. Malgré de nouvelles suspicions de fraudes, le vaincu accepte sa défaite, dans un pays qui reste marqué par les affrontements ethniques. Les plus violents – des dizaines de morts tués à la machette ou brûlés vifs – ont lieu en 2012 dans le district de Tana River (sud-est), entre agriculteurs sédentaires Pokomo et éleveurs semi-nomades Orma. Fin 2013, une semaine de violences entre communautés d’éleveurs fait aussi plusieurs dizaines de victimes dans la province de Marsabit, frontalière de l’Éthiopie. Elles opposent les Borana, traditionnellement majoritaires dans la région depuis l’indépendance et alliés du pouvoir, à l’alliance ReGaBu (Rendille, Gabra et Burji).
En octobre 2014, Kenyatta devient le premier chef d’État en exercice à comparaître devant la Cour pénale internationale (CPI), au sujet des violences électorales de décembre 2007. Les poursuites concernent aussi son vice-Président qui, à l’époque, était dans le camp opposé : ancien député de la KANU, William Ruto avait rallié le Mouvement démocratique orange (ODM) d’Odinga. Les deux têtes de l’État bénéficient finalement d’un non-lieu, faute de preuves. Ayant refusé de communiquer certaines pièces au tribunal, le régime est également soupçonné d’avoir intimidé des témoins qui se sont rétractés.
Kenyatta est réélu en 2017, mais en deux temps. La Cour suprême ayant invalidé le premier scrutin tenu en août, un second est organisé en octobre. Le Président en sort vainqueur avec 98 % des voix, son principal opposant –l’inoxydable Odinga – ayant jeté l’éponge. Cinq ans plus tard, le vice-Président Ruto accède au pouvoir, à la tête de son Alliance démocratique unie (UDA) : issu d’une modeste famille Kalenjin de la vallée du Rift, il obtient 50,5 % des voix, résultat que contestent plus de la moitié des membres de la Commission électorale. Malgré tout, le scrutin est validé et Odinga subit donc une cinquième défaite, alors qu’il avait pourtant reçu le soutien du Président sortant, fâché avec son vice-Président.
En 2023, le pays connait un choc, avec la découverte dans une forêt du sud-est de plus de quatre cents personnes mortes de faim, voire étranglées ou privées d’organes. Elles ont été victimes d’un pasteur évangéliste, qui avait appelé ses fidèles à un jeûne poussé pour préparer la fin du monde. L’affaire est sensible, la propre femme du Président Ruto étant pasteure. En juin 2024, plusieurs villes du pays s’enflamment, à l’annonce de la création de nouvelles taxes, alors que le train de vie de l’État est jugé dispendieux par la population. La répression des émeutes fait une soixantaine de morts, avant que le Président ne retire le projet de budget controversé et ne change son gouvernement : il y fait notamment entrer quatre membres du parti d’Odinga. Ruto a suivi les pressions des États-Unis, dont il s’efforce d’apparaître comme un fidèle allié. C’est dans cette optique qu’il a accepté que le Kenya commande la force multinationale de l’ONU, qui se déploie à l’été 2024 à Haïti pour essayer d’y rétablir la sécurité. Il est également de plus en plus actif actif dans la répression d’opposants étrangers présents sur son sol, notamment d’Ougandais (cf. ce pays).
Sur le plan économique, le Président Ruto pousse ses jeunes compatriotes à émigrer dans les pays occidentaux ou les émirats du Golfe arabo-persique, tant pour trouver des emplois (en nombre insuffisant dans le pays) que pour faire rentrer des devises… et se débarrasser d’un électorat exigeant, susceptible d’empêcher sa réélection en 2027 : les 18-25 ans constituent 65 % du corps électoral et il n’est pas certain qu’ils votent, une fois exilés. En octobre 2024, le Sénat vote la destitution du vice-Président, pour corruption et abus de pouvoir. Cet homme d’affaires au passé sulfureux, mais influent dans la région du Mont Kenya, avait été choisi comme colistier par Ruto pour gagner les élections ; les relations entre les deux hommes s’étaient dégradées à l’été, le camp présidentiel accusant le vice-Président d’un manque de soutien lors des émeutes.
Des violences islamistes multiformes
Elles prennent une forme séparatiste sur la côte touristique, fief de l'opposition à majorité musulmane. Doublées de considérations politiques, les violences font deux mille morts en 1992 et une centaine (ainsi que 100 000 déplacés) cinq ans plus tard. Elles sont notamment animées par le Conseil républicain de Mombasa (MRC) qui, en 2013, affronte les forces de l'ordre à la veille des élections présidentielles et attaque le casino de Malindi, la deuxième ville du pays (une vingtaine de morts).
En août 1998, le Kenya est frappé par le djihadisme international. Un attentat à la voiture piégée contre l'ambassade américaine de Nairobi fait plus de deux cents morts. Comme celui de l'ambassade américaine de Dar es-Salam (commis le même jour), il est attribué à des terroristes liés à al-Qaida. La même mouvance est mise en cause dans l'attentat suicide qui, en novembre 2002, fait une quinzaine de morts à Mombasa, dans un hôtel tenu par un Israélien.
Le pays subit également les répercussions du conflit somalien, en particulier de la lutte menée par les islamistes shebab contre les autorités de Mogadiscio et leurs alliés. Abritant historiquement une forte minorité somalie, agrandie par les réfugiés venus de ce pays, le Kenya reste longtemps en périphérie du conflit : il sert de base arrière aussi bien aux forces spéciales américaines (qui préparent l’élimination de chefs islamistes) qu'aux shebab qui se réfugient dans la forêt de Boni, y font soigner leurs blessés et réalisent des affaires avec des responsables politiques kényans corrompus. Mais les enlèvements d'étrangers par des clans somaliens se multipliant, l'armée kényane exerce un droit de suite et pénètre dans le sud de la Somalie. L’objectif de l’opération « Linda Nchi » (protéger la nation) est d’y installer une « zone tampon » et de ressusciter le Jubaland, un État ami brièvement indépendant de 1998 à 2006. La zone ainsi pacifiée permettrait de transformer, avec de l’argent chinois, le port touristique de Lamu (à une centaine de kilomètres de la frontière avec la Somalie) en terminal pétrolier, par où passerait le pétrole du Sud-Soudan et du nord-Kenya. Les shebab répliquent par des attentats et des opérations armées, dont la plus spectaculaire fait près de soixante-dix morts, en septembre 2013, dans un centre commercial de Nairobi détenu par des Israéliens. Des églises sont également prises pour cibles, après l'assassinat d'imams radicaux du Centre de la jeunesse musulmane (MYC), considérés comme des recruteurs des islamistes somaliens. A l'été 2014, une centaine de personnes, toutes kényanes, sont tuées dans la région touristique de Lamu et encore une soixantaine à l'automne dans les régions frontalières, les musulmans étant parfois épargnés. Ces actions sont attribuées à Al Hijra (l'ex-MYC), groupe kényan affilié aux shebab et qui a infiltré les mouvements séparatistes de la côte. La radicalisation des populations locales, qui s'ajoute aux problèmes récurrents pouvant exister entre les Turkana, les Borana et les Somali de ces régions, y est favorisée par l’absence de profit qu’elles tirent du développement en cours de la côte (chantiers d’un nouvel aéroport, d’un nouveau port et terminal pétrolier…). Les islamistes somaliens sont parfois eux-mêmes aux manettes, comme à Garissa, en avril 2015 : ils y exécutent près de 150 personnes, majoritairement étudiantes et non musulmanes, dans l’attaque du campus universitaire qui avait été construit quelques années plus tôt en faveur de cette région oubliée du nord-est.
Photo de une : Masaï. Crédit Michelle Maria / Pixabay