Signé en 1923, au lendemain de la première Guerre mondiale, le traité de Lausanne a attribué à la Grèce la quasi-totalité des îles égéennes (soit près de 2400), dont certaines ne sont pourtant qu’à quelques kilomètres des côtes anatoliennes. Ce faisant, il a considérablement réduit la zone économique exclusive (ZEE) de la Turquie, raison pour laquelle Ankara n’a pas signé la Convention des Nations-Unies de 1982 sur le droit de la mer, à la différence d’Athènes qui – pour éviter un conflit – a choisi de ne pas porter ses eaux territoriales au-delà de six milles marins, alors qu’elle aurait pu les étendre à douze. Pour en savoir plus. Les négociations n’ont jamais abouti à un accord de délimitation maritime et la Cour internationale de justice (CIJ) s’estime incompétente pour trancher tout litige qui lui serait présenté unilatéralement.
Depuis l’incident naval survenu, en 1996, autour de l’îlot inhabité d’Imia (Kardak) situé à la limite de leurs eaux territoriales, les deux pays – comptant parmi les plus gros importateurs mondiaux d’armes – avaient amorcé un dégel : en 1999, la Grèce avait apporté une aide remarquée à Istanbul, frappée par un violent séisme ; en 2010, c’est le Premier ministre turc qui s’était rendu à Athènes pour apporter son soutien à un pays en proie à une grave crise économique. Mais à l’automne 2016, après le putsch raté dans son pays, Erdogan a durci sa position : s’opposant à tout retrait des troupes turques du nord de Chypre, envahi en 1974, il suggère aussi d’apporter des « améliorations » au traité de Lausanne. Tandis qu’Athènes met en avant que chacune de ses îles, si petite soit-elle, possède son propre plateau continental (donc sa propre ZEE), Ankara estime en revanche que le plateau continental d’un pays devrait être mesuré proportionnellement à la longueur de sa façade maritime… prétention d’autant plus affirmée que, en 2009, des gisements gaziers ont été découverts en Méditerranée orientale, au large des côtes chypriotes. En accroissant sa ZEE, Ankara pourrait donc espérer trouver aussi de nouvelles ressources en hydrocarbures.
En septembre 2019, le Président turc pose devant une carte, dite de la « Patrie bleue », qui revendique 462 000 km² d’espace maritime pour son pays, en Mer Noire et en Méditerranée, en particulier dans le Dodécanèse, archipel de plus de 160 îles et îlots (dont Rhodes) situés au nord-est de la Crète et au sud-ouest des côtes turques. Comme d’autres pays non signataires de la région, la Turquie préfère conclure des traités bilatéraux de délimitation maritime, ce qu’il fait en 2019 avec le Gouvernement d’accord national libyen (comme Chypre l’a fait avec les Égyptiens en 2003 puis en 2020, le Liban en 2007 et Israël en 2010). En août 2020, au lendemain de la signature par la Grèce d’un accord de délimitation avec l’Égypte, Ankara envoie un navire de prospection sismique, accompagné de bâtiments militaires, dans les eaux potentiellement riches en gaz de Kastellórizo : cette île grecque de 10 km² donne en effet droit à 40 000 km² de ZEE à son pays, pourtant distant de plus de 550 kilomètres, alors que la Turquie n’est qu’à trois kilomètres. Ankara démontre également ses ambitions maritimes en construisant son premier porte-aéronefs, un navire d’assaut amphibie et des sous-marins. Au printemps 2025, la Turquie se rapproche des autorités de l’est-libyen, alors qu’elle était jusqu’alors très liée au gouvernement de Tripoli : Ankara vise un accord de délimitation maritime qui lui donnerait le droit d’accéder à une zone économique exclusive, riche en gaz naturel et allant de la côte sud de la Turquie au nord-est de la Libye, en ignorant la Crête ainsi que les droits de Chypre et même de l’Égypte.