L’Indochine jusqu’aux indépendances modernes

L’Indochine jusqu’aux indépendances modernes

Comme son nom l’indique, la région est à l’intersection des puissantes civilisations indienne et chinoise, en contrebas des sommets tibétains de l’Himalaya.

Couvrant plus de 1,9 million de km², la région s’étend du nord-est de l’Inde jusqu’à l’isthme de Kra, à partir duquel commence la péninsule malaise (cf. Monde malais). Elle est bordée par la mer de Chine méridionale et le golfe de Thaïlande à l’est, par le golfe du Bengale et la mer d’Andaman à l’ouest. Au fil des millénaires, elle a vu passer des peuples appartenant à quatre familles principales : austronésienne, môn-khmère, tibéto-birmane et t(h)aï. Tous ont donné naissance à une multitude de royaumes et de principautés, dont certains (ceux des Birmans, Thaïs et Lao, Vietnamiens et Khmers) sont devenus des États modernes. D’autres peuples (Môn, Cham…) ont subsisté comme minorités ethniques de ces pays, quand d’autres (Pyu) disparaissaient. Sur le plan religieux, ces populations et leurs souverains ont longtemps pratiqué un syncrétisme mêlant croyances animistes, bouddhisme theravada (« voie des anciens ») et brahmanisme, auxquels se sont ajoutés le shivaïsme hindou ainsi que le bouddhisme mahayana (« grand véhicule ») entre le Vème et le Xème siècle, ainsi que le confucianisme et le taoïsme dans la partie vietnamienne sous influence chinoise et même l’islam dans certaines zones. C’est finalement l’école bouddhiste traditionnelle qui s’est imposée comme religion majoritaire des différents pays (à l’exception du Vietnam resté fidèle à la version mahayana).

SOMMAIRE

La naissance des premiers États

A partir de -4 000, des populations austronésiennes, venues du sud de la Chine, peuplent le nord du Vietnam (siège de la culture Hoa Binh), ainsi que le Cambodge. Au cours du troisième millénaire AEC arrive un nouveau peuple, en provenance probable du sud-ouest de la Chine (bien que certaines sources évoquent une arrivée depuis le nord-est de l’Inde) : les Môns, auxquels sont apparentés les Khmers, se déploient sur un vaste territoire, allant du delta de l’Irrawaddy à celui du Mékong, repoussant les populations autochtones du Cambodge vers les forêts et les montagnes. Sans doute vers le IIIème siècle AEC, les Môns fondent leur premier royaume, Suvarnabhumi, à l’embouchure de la Salouen, un fleuve se jetant dans la mer d’Andaman : situé sur la plaine côtière de la chaîne du Tenasserim, sont port va favoriser le développement de relations avec l’Inde, en particulier la diffusion de l’hindouisme et du bouddhisme theravada.

Au 1er siècle EC, de nouveaux venus s’installent en haute Birmanie, sur le cours supérieur de l’Irrawaddy : les Pyu, des tribus tibéto-birmanes venues du nord. Au milieu du même siècle, une population, probablement môn et (ou) austronésienne, forme un État sur le delta et le cours moyen du Mékong (Cambodge et Cochinchine actuels) : connue sous son nom chinois de Funan, cette confédération de culture indienne (brahmanique et hindouiste), va s’affirmer comme puissance maritime commerçant avec l’Inde et la Chine, depuis son port d’Oc-Eo sur le golfe de Thaïlande. Soumettant ses vassaux, le Funan s’étend dans la basse vallée du fleuve Chao Phraya (ou Menam, qui traverse la Thaïlande du nord au sud, jusqu’au Golfe de Thaïlande et à Bangkok), ainsi qu’au nord de la péninsule malaise. Vers 285, le Funan conclut une alliance avec ses voisins orientaux, les Chams austronésiens[1], dont le royaume du Champa s’étend au siècle suivant, exerçant une pression sur ses alliés et progressant du centre vers le sud du Vietnam (cf. article dédié).

Au Vème siècle, les Pyu ayant migré vers le sud et les deltas y fondent le royaume de Sri Kshetra (près de l’actuelle Prome, au nord de Rangoon dans la basse vallée de l’Irrawaddy). Il y côtoie les cités-États Môns de la civilisation hindouiste de Dvaravati, qui se développe au VIème dans le centre et le sud de la Birmanie et le centre-sud de la Thaïlande. Au nord, le long de l’actuelle frontière sino-birmane, se sont établis les Shan, un peuple thaï qui fonde de petits États (ou muong) largement autonomes [2].

A la même époque, le nord-est de la Thaïlande et le nord du Cambodge actuels passent sous la coupe d’une nouvelle puissance, également connue par son nom chinois : le Tchen-la, apparu à la fin du Vème au sud de l’actuel Laos. Basé sur l’agriculture, ce nouveau royaume conquiert le Funan au milieu du VIème. Mais, deux siècles plus tard, il se scinde en deux royaumes : Tchen-la de la terre au nord (dans l’actuel Laos) et Tchen-la de la mer au sud (dans le périmètre de l’ancien Funan). Leurs rivalités conduisent même à un morcellement en cinq principautés et à la vassalisation de la partie méridionale par les rois Sailendra de Java, à la fin du VIIIème.

[1] Les Chams se sont établis en Annam dans la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère, arrivés sans doute de Malaisie, de Sumatra ou de Bornéo par la mer.

[2] Au fil des siècles, le Mong Mao – bien que plus ou moins vassalisé par les Mongols, les Chinois ou les Birmans – étend sa domination sur un territoire allant de l’ouest du Yunnan à une partie des États Shan et Kachin de l’actuelle Birmanie.


Des dominations birmane et khmère à l’arrivée des Thaïs

Au cours du même VIIIème siècle, la pression qu’exercent les Môns contraint les Pyu à remonter l’Irrawady et à fonder une nouvelle capitale au nord de l’actuelle Mandalay. Sur le cours moyen du fleuve s’installent d’autres tribus tibéto-birmanes, les Cakraw (probablement des Karens). A partir de 800, le royaume Pyu subit les incursions du royaume de Nanzhao fondé en 737 au Yunnan par des peuples tibéto-birmans[1]. Occupant la haute vallée de l’Irrawady (et en 860 le delta du fleuve rouge au Tonkin), ils détruisent la capitale des Pyu en 832 et déportent une partie de sa population.

En basse-Birmanie, la domination des Môns de Thatôn sur les ports du delta de l’Irrawaddy les conduits à y créer, en 825, une nouvelle capitale : Pegu (au nord-est de Rangoon) qui donne son nom à leur royaume. A la même époque, un prince khmer parvient à réunifier le Tchen-la, en secouant le joug des Javanais sur le sud du Cambodge : devenu roi en 802 sous le nom de Jayavarnam II, il installe sa capitale loin de la mer et du delta du Mékong, au nord du Tonlé Sap (« lac d’eau douce »). A la fin du IXème, ses successeurs bâtissent à proximité, à Angkor, des temples en l’honneur de Shiva, Vishnou et Bouddha. C’est à cette époque que le royaume prend le nom de Kambuja[2].

Au même moment, le Royaume de Pyu s’efface définitivement devant le Royaume de Pagan, créé en 849 par les tribus birmanes qui s’étaient progressivement infiltrées, depuis le nord, dans la région de Mandalay. En peu de temps, les Birmans assimilent les Pyu (ethniquement proches) et s’installent dans la plaine fertile de Kyaukse, où ils supplantent les Môns qui y étaient établis de longue date. Cette invasion bouscule d’autres populations avoisinantes telles que les Wa (Lawa) et les Palaung de parler môn-khmer. Mais c’est surtout au milieu du XIème, sous le règne d’Aniruddha, que le royaume de Pagan (ou Arimaddanapura) prend l’expansion qui lui vaudra ultérieurement le qualificatif de « premier Empire birman » : converti au bouddhisme theravada, le roi unifie la Birmanie après avoir vaincu les Môns en 1057. Son pouvoir est renforcé par ses successeurs de sorte que, au milieu du XIIIème siècle, une grande partie de la péninsule indochinoise est sous le contrôle du royaume birman : le domaine des rois de Pagan s’étend du delta de l’Irrawady aux frontières avec le Yunnan à l’est et au Tenasserim et à l’isthme de Kra au sud. Au XIème, ils mettent également fin aux cités-Etats fondées en Arakan par des dynasties bouddhistes du Bengale voisin, à partir du IVème siècle ; frappant monnaie et disposant d’une flotte, ces royaumes de l’ouest birman entretenaient de fructueuses relations commerciales avec l’Inde et la Perse[3].

L’autre moitié de la péninsule chinoise est sous l’emprise des Khmers qui se sont répandus au XIème dans le bassin du Chao Phraya et le sud de la Thaïlande, ainsi qu’au centre du Laos. En parallèle, un nouveau peuple a commencé à s’infiltrer dans la région : venus de Chine méridionale, de petits groupes de T(h)aïs s’établissent à partir du Xème siècle au nord des monts Dangrek, frontaliers de l’est de la Thaïlande, du nord du Cambodge et du sud du Laos. Vers 1096, ils créent la première de leurs chefferies à Pha Yao et effectuent une lente pénétration dans les plaines de l’actuelle Thaïlande aux XIème et XIIème siècles. Un peu plus à l’est, des Taïs Lao descendent le Mékong et refoulent vers les montagnes les autochtones de langue môn-khmère qualifiés de Kha (« sauvages »).

Sous la triple pression des Birmans, des Khmers et des Thaïs, la civilisation Dvaravati des Môns disparait en tant que telle aux environs du Xème ou XIème siècle. Elle cède la place à plusieurs entités : les villes du Royaume de Lavo (l’actuelle Lobpuri, dans la basse-vallée de la Chao Phraya) deviennent vassales des Khmers, celles situées plus à l’ouest restent indépendantes au sein du Royaume de Supannabhum, tandis que d’autres populations môns migrent vers le nord de l’actuelle Thaïlande et fondent le Royaume d’Haripunchai, autour de la cité de Lamphun. A la fin du XIème, le Royaume de Lavo profite des troubles secouant le royaume khmer pour s’affranchir de sa tutelle et s’étendre aux dépens de son voisin de Supannabhum.

[1] Peuplé de Bai et de Yi (ou Lolo), le Nanzhao semble avoir été parfois dirigé par des souverains Taïs.

[2] Le nom provient d’un sage et prince hindou plus ou moins mythique, Kambu Swayambhuva. Son mariage avec Mera, fille d’un roi Naga, aurait donné naissance au mot « khmer ».

[3] A partir du VIIIème siècle, l’Arakan s’ouvre à l’islam, par le biais de commerçants arabes.

Apogée khmère et puissance shan

L’emprise des Khmers se fait de nouveau sentir dès le milieu du siècle suivant, sous l’égide de Suryavarman II, le roi qui fait édifier le temple d’Angkor Vat, dédié à Vishnou.  Le Lavo repasse sous leur influence, de même que le Haripunchai et que les petites principautés autonomes (muongs) créées par les Taïs Lao. Le Champa résiste en revanche à toute tentative d’annexion : pendant près d’un siècle, à partir de 1130, une guerre oppose les royaumes cham et khmer avec des issues diverses ; en 1177, les Chams détruisent Angkor Vat, avant d’être chassés par Jayavarman VII au tournant du XIIIème. Le royaume khmer est alors au sommet de son expansion territoriale : ayant vassalisé le Champa et les principautés môns de la Thaïlande et du Laos actuels, il exerce son influence jusqu’à l’isthme de Kra et au royaume de Pagan. Mais sa puissance est amoindrie par le coût des travaux de sa nouvelle capitale, Angkor Thom, reconstruite sur les ruines de celle dévastée par les Chams : cette fois, le centre en est un temple du bouddhiste Mahayana, le Bayon, signe de l’importance que cette religion a prise par rapport à l’hindouisme.

La puissance khmère doit aussi compter avec la menace croissante que représentent les Thaïs au nord-ouest. En 1219, un prince thaï s’est en effet révolté contre le gouverneur khmer d’une ville du Lavo et a déclaré son indépendance : en deux décennies, son Royaume de Sukhotaï s’étend à toute la haute vallée de la Chao Phraya. Au sud, il soumet le royaume môn de Supannabhum, ainsi que le royaume de Tambralinga (Sri Thamnakorn) dans la péninsule Malaise ; au nord, il impose tribut au Muong Sua lao. Inventeur de l’alphabet thaï (1283), le roi Ramkhamhaeng favorise la propagation du bouddhisme theravada dans tout son royaume, par l’intermédiaire de moines malais. La conquête du Nanzhao par les Mongols, en 1253, accélère l’expansion des Thaïs qui se répandent alors en une sorte d’éventail vers le sud et vers l’ouest, jusqu’au royaume Âhom (dans l’actuel Assam indien).

A la même époque, le royaume de Pagan perd de sa puissance, au fur et à mesure que ses terres et ses ressources tombent aux mains des communautés bouddhiques. Sa chute intervient à la suite d’incidents, sur sa frontière nord, avec les « Dents d’or » Palaung-Wa, des tribus de langue môn-khmère se présentant comme vassales des Mongols. En 1277, les troupes birmanes attaquent ces rebelles dans le Yunnan, mais subissent une défaite. La réponse mongole est immédiate : ils occupent et vassalisent le royaume de Pagan, auquel le coup fatal est porté par trois frères shan, à l’extrême fin du XIIIème siècle. Anciens officiers de l’armée birmane, ils prennent le contrôle de la région céréalière de Kyaukse au début des années 1290, puis repoussent, au tout début du XIVème, une invasion des Mongols, suzerains du roi de Pagan déposé. Devenus maîtres de la Birmanie centrale, les trois frères y créent le royaume de Myinsaing, entouré de muongs (cités-Etats et principautés) shans au nord et de royaumes indépendants au sud : l’Hanthawaddy, fondé par les Môns à Martaban[1], près de Thâton, dès l’affaiblissement de Pagan en 1287 et des petits États créés par des Birmans ayant fui les Shans. En 1310, le Myinsaing change de capitale et de nom : devenu royaume de Pinya, il est affaibli cinq ans plus tard par la sécession du royaume de Sagaing, situé à l’ouest de l’Irrawady.

Malgré leurs rivalités, les deux Etats shans ne s’affrontent que rarement, tous deux étant d’abord sous la menace autrement plus sérieuse des principautés shans du nord. C’est d’ailleurs l’un de ces princes, le saopha de l’État de Mogaung, qui pille leurs capitales en 1364. Démantelés, les deux royaumes rivaux sont réunifiés, dès la même année, par un prince de Sagaing : centré sur la région de Mandalay, ce nouveau royaume d’Ava est dirigé par des Shans, mais il est majoritairement peuplé de Birmans et sa capitale devient un haut lieu de la culture et de la littérature birmanes. En revanche, ses velléités d’expansion territoriale aux dépens des Môns sont freinées par le harcèlement que lui infligent, comme à ses prédécesseurs, les États shans du nord.

[1] En 1369, les Môns réinstallent leur capitale à Pegu.


La naissance du royaume de Siam

Côté thaï, la puissance de Sukhothaï est mise à mal, au début du XIVème, par l’émancipation successive de ses vassaux, en particulier Môns et Lao. Réduit à son territoire initial, il subit aussi la concurrence de deux nouveaux royaumes thaïs : le Lan Na (« pays du million de rizières ») fondé dans la seconde moitié du XIIIème par le roi du muong pré-existant de Ngoenyang (la moderne Chiang Saen) au nord de la Thaïlande ; depuis sa capitale de Chiang Mai (« ville nouvelle »), il s’étend dans l’est birman et jusqu’au Yunnan et annexe le Haripunchai Môn en 1292. Le second nouvel Etat thaï est le royaume d’Ayuthia [1] fondé par un vassal de Sukhotaï en 1350, dans le sud du bassin du Chao Phraya. Son essor est tel qu’il vassalise son ancien suzerain en 1378. Il s’attaque aussi, à plusieurs reprises, à son voisin khmer ; depuis le milieu du XIIIème, celui-ci est affaibli par les querelles liées à la restauration de l’hindouisme et à la persécution des bouddhistes qui en résulte[2]. Le royaume khmer est également menacé, dans le delta du Mékong, par les Chams redevenus indépendants.

Au nord, l’heure est à l’union des principautés lao du Laos et du nord-est de la Thaïlande : en 1353, un prince du Muong Xua (autour de la future Luang Prabang) en fédère plusieurs au sein d’un royaume du Lan Xang (« pays du million d’éléphants ») qui reste constitué de fiefs largement autonomes.

La situation évolue aussi à l’ouest. En 1347, les Birmans forment, dans la basse vallée de la Sittang, le petit royaume de Toungoo, coincé entre les Etats shan d’Ava et môn d’Hanthawaddy. En 1385, ces deux ennemis déclenchent une guerre qui va durer quarante ans, sans pour autant désigner un vainqueur. Le début du XVème voit aussi la renaissance de l’Arakan. En 1430, le souverain d’un petit État Rakhine[3] y fonde,  avec l’appui du sultan du Bengale, un royaume doté d’une nouvelle capitale : Mrauk U (ou Myohaung). Leur suzerain rencontrant des difficultés avec les Moghols indiens, les souverains d’Arakan – eux-aussi musulmans – s’en émancipent et lui prennent même Chittagong et le sud-ouest du Bengale (1459). Pendant des décennies, leurs bateaux vont se livrer à des actes de piraterie dans le golfe du Bengale, aux côtés de flibustiers portugais.

Côté thaï, le royaume d’Ayuthia poursuit son expansion et impose une suzeraineté plus ou moins rigide aux Etats musulmans malais situés au sud de l’isthme de Kra (sultanat de Patani et principauté de Tambralinga). Après s’être emparé d’Angkor en 1431, il conquiert l’ouest du royaume khmer, qui se retrouve contraint de déplacer son centre de gravité politique sur le Mékong, au sud-est, sur le site de l’actuelle Phnom Penh. En 1438, Ayuthya annexe purement et simplement le Sukhotaï, ainsi que d’autres principautés thaïs et les reliquats du Lavo[4], donnant ainsi naissance au Royaume de Siam[5]. Toutefois, certaines entités thaïes continuent de lui échapper, à l’image du Lan Na et des États lao : le Lan Xang, ainsi que les muongs du nord Laos (dont le royaume Bồn Man, fondé au XIVème sur le plateau de Xieng Khouang, qui passe sous tutelle des Viets à la fin du XVème).

[1] Du nom de sa capitale, choisi en référence à la ville du dieu hindou Rama, Ayodhya (« qui ne peut-être conquis » en sanskrit).

[2] En 1336, un roi khmer hindouiste, persécuteur du bouddhisme, est assassiné. Couronné à sa place, son meurtrier fait du bouddhisme theravada la religion officielle et écarte les élites indianisées.

[3] Arrivés en Arakan au IXème, les Rakhines – sans doute tibéto-birmans – y avaient fondé diverses cités-Etats.

[4] Le Lavo avait retrouvé une indépendance relative à la fin du XIIIème siècle.

[5] Le terme Siam viendrait du sanskrit « Syama », signifiant « foncé ».

Les Siamois en difficulté

Au début du XVIème, les rois khmers deviennent vassaux du Siam tandis que, plus à l’ouest, les rivaux d’Ava et d’Hanthawaddy disparaissent à quelques années d’intervalle. C’est d’abord le Royaume birmano-shan d’Ava qui, en 1527, est conquis par des princes shans du nord, lesquels vont régner une trentaine d’années en haute-Birmanie. Le roi de Toungoo en profite pour passer à l’offensive : en 1539, il impose sa tutelle au royaume Môn d’Hanthawaddy, puis conquiert le delta de l’Irrawady et transfère sa capitale à Pegu. Dans les années 1550-1560, ce deuxième Empire birman de l’histoire impose sa suzeraineté définitive à l’ensemble des princes (saopha) shans : ceux-ci conservent toutefois une large autonomie, en échange de la fourniture d’une vaste main-d’œuvre, notamment militaire, aux Birmans. La dynastie de Toungoo mène aussi l’offensive contre les Royaumes thaïs : celui du Siam, où elle installe un régime vassal en 1560, et celui du Lan Na, que convoite également le Lan Xang. Le roi khmer profite également des difficultés des Siamois, dont il bat l’armée en 1564 près d’Angkor, dans un lieu qui prendra dès lors le nom de Siem Reap (« défaite des Siamois »).

Dans ce contexte conflictuel, le royaume lao préfère déplacer sa capitale plus au sud : en 1563, Vientiane, située plus près de l’allié siamois, succède à Xieng Tong (qui prend le nom de Luang Prabang).

La vassalisation des Thaïs par les Birmans s’avère finalement de courte durée : le royaume de Siam retrouve son indépendance dès 1584 et reprend son expansion. En 1593, son roi Naresuen accentue sa suzeraineté sur les Khmers, après avoir pris leur nouvelle capitale Lovek et, deux ans plus tard, impose un protectorat au Lan Na. Déclinant, l’Empire birman s’est replié sur la Birmanie centrale, avant de connaître une brève renaissance à la fin du XVIème siècle. Devenu roi en 1605, Anaukpetlun reprend la Basse-Birmanie et vassalise le Lan Na (1631) ; il repousse également les tentatives de conquête des Portugais, alliés aux Arakanais[1]. Son assassinat, en 1629, met fin à cette politique d’expansion et le royaume Toungoo d’Ava se replie dans une position isolationniste.

Dans le premier quart du XVIIème, le royaume khmer (désormais basé à Oudong) manifeste de nouveau son hostilité à la tutelle siamoise. Mais c’est au prix d’une alliance coûteuse avec les dirigeants du sud vietnamien. Pour prix de son aide, le roi de Hué obtient l’autorisation de fonder des établissements dans la région khmère du fleuve Dong Nai (proche de Saïgon) ; en 1660, le souverain khmer doit également lui payer un tribut de vassalité. L’expansion des Viêts en Cochinchine et dans le delta du Mékong (cf. Vietnam) est également favorisée par les difficultés que rencontre le Siam, après ses tentatives d’ouverture aux influences européennes : celle des Hollandais en 1605, puis des Britanniques (également présents en Birmanie) et enfin des Français à partir de 1662[2]. En 1688, ces différents contacts déclenchent une révolte xénophobe qui conduit au repli du royaume siamois.

Au début du XVIIIème, des querelles de succession provoquent la disparition du Lan Xang. Alors qu’il était à son apogée au milieu du siècle précédent, l’État lao se scinde en trois royaumes rivaux : de Vientiane (allié aux Birmans), de Luang-Prabang (1707, allié aux Siamois) et de Champassak (1713) à l’extrême sud-ouest. A la fin du siècle, tous les trois passent finalement sous la suzeraineté du Siam.

[1] Le déclin de l’Arakan commence après la prise de Chittagong par les Grands Moghols indiens, en 1666.

[2] Un échange d’ambassadeur a lieu avec le régime de Louis XIV et des garnisons françaises sont implantées.


Renaissances birmane et siamoise et affaiblissement khmer

En 1752, le royaume Toungoo s’effondre, une douzaine d’années après une révolte des Môns de Pegu. Lamphun, capitale de l’ancienne Harapunchai, en profite pour s’affranchir de sa domination et devenir un État vassal du Siam. Le flambeau birman est repris par un chef local qui repousse une attaque môn dans la plaine centrale et investit Ava dès la fin de l’année 1753. Devenu roi sous le nom de Alaungpaya, il fonde une nouvelle dynastie, les Konbaung, et reprend la Basse-Birmanie aux Môns, dont le petit port de pêcheurs de Dagon, renommé Yangon (la future Rangoon). Entré dans une nouvelle guerre contre le Siam, ce « troisième Empire Birman » reconquiert le Lan Na, puis détruit Ayuthia (1767).

Mais les Siamois reprennent l’initiative, sous la direction d‘un général sino-thaï : s’étant fait couronner roi à Thonburi, Phya Taksin entre dans un nouveau conflit avec ce qui reste du royaume khmer. Une nouvelle fois, celui-ci fait appel aux rois de Hué qui, pour prix de leur soutien, imposent un protectorat pur et simple aux Khmers (1771). Cette tutelle est cependant de courte durée : affaiblis par la révolte des Tayson, les Viêts doivent laisser le Siam installer un souverain à sa convenance sur le trône khmer. La même année 1775, les armées de Taksin repoussent les Birmans et leur reprennent Chiang Mai et le Lan Na[1]. Trois ans plus tard, un de ses généraux conquiert Vientiane, avant de devenir roi du Siam à la place de Taksin, déclaré fou et exécuté lors d’un coup d’Etat : couronné en 1782 sous le nom de Rama 1er le Grand, le nouveau souverain est le fondateur de la dynastie Chakri qui règne toujours sur la Thaïlande. Constructeur d’une nouvelle capitale, Bangkok, il poursuit la politique d’expansion de son prédécesseur. S’il échoue à reprendre le Tenasserim aux Birmans, il conquiert en revanche Pattani, dans la péninsule malaise. En 1795, il met la main sur les provinces khmères de Battambang et de Siem Reap.

Au début du XIXème siècle, le roi de Vientiane essaie de s’affranchir de la suzeraineté du Siam : celui-ci réagit en saccageant sa capitale en 1827 et en occupant le vaste plateau de Khorat, bordant le Mékong. Réfugié à Hué, le souverain laotien déchu reprend la ville l‘année suivante, avec l’aide des Vietnamiens, mais cette victoire est sans lendemain : Vientiane est rasée en 1830 et le royaume purement annexé au Siam la même année, celui de Luang Prabang conservant son statut de vassal. Quant au Viêt Nam, il prend le contrôle pur et simple de la petite principauté de Xieng Khouang, dont il n’était jusqu’alors que le suzerain[2].

Après la restauration de l’unité du Vietnam, en 1802, le Cambodge redevient un enjeu territorial entre les Vietnamiens et les Siamois. En 1812, le Siam occupe le territoire de son vassal khmer, Ang Chan, après qu’il a fait allégeance à celui de Hué. Réfugié à Saïgon, le roi déposé retrouve son trône dès l’année suivante, avec l’aide des Vietnamiens. Le régime de Bangkok consent à reconnaître la situation, en échange de la cession par celui d’Oudong de nouveaux territoires au nord du royaume khmer. Mais la trêve est brève : une nouvelle invasion siamoise, en 1831, est suivie d’une nouvelle restauration d’Ang Chan par les Vietnamiens. Ceux-ci imposent leur langue dans l’administration et finissent par annexer le royaume khmer en 1841. Après quatre ans d’occupation, la population se révolte et massacre les Vietnamiens. Sollicité par les dignitaires khmers, le Siam ne se fait pas prier pour intervenir et occuper Oudong. Le traité de paix signé en décembre 1845 consacre le retour d’un roi sur le trône khmer. Mais il est placé sous le double protectorat du Siam et du Viêt Nam et hérite d’un pays largement amputé : la souveraineté du Siam sur les provinces du nord est entérinée, de même que celle des Vietnamiens sur la basse Cochinchine (Kampuchéa Krom).

[1] Le royaume du Lan Na est définitivement aboli en 1884 et annexé au Siam en 1892.

[2] Fondé au XIIIème siècle, sous le nom de Muang Puan, le territoire avait été intégré au siècle suivant au Lan Xang, mais en gardant un haut niveau d’autonomie. Dans les années 1770, il était devenu vassal des Siamois et des Viêts.

L’entrée en lice des puissances européennes

L’arrivée des Français, en 1862, modifie la donne au Cambodge. La France se fait céder Saïgon et la Cochinchine orientale, mais récupère aussi le « droit au tribut » imposé par l’empereur d’Annam au royaume cambodgien. Le Siam se faisant de nouveau menaçant, Paris offre sa protection au souverain khmer, Norodom, qui l’accepte : un traité est signé en ce sens en août 1863[1]. Trois ans plus tard, le roi concrétise ce changement en transférant sa capitale d’Oudong à Phnom Penh. En 1867, un traité franco-siamois entérine la situation : Bangkok accepte le protectorat français sur le Cambodge et renonce à tous ses droits sur ce pays ; en échange, Paris reconnait la souveraineté siamoise sur les provinces de Battambang et Siam Reap.

Entretemps, le troisième Empire birman a poursuivi son expansion. En 1784-1785, il a mis fin à l’indépendance de l’Arakan et pris le Tenasserim au Siam, tout en repoussant les incursions des Qing chinois. Mais cette politique va se heurter à celle de l’Empire britannique des Indes. Après avoir vassalisé et pillé l’Assam en 1810, le royaume birman s’attaque au Manipur entre 1817 et 1824. Les Anglais, qui administrent le Bengale voisin mais avaient délaissé ces régions, s’inquiètent de ces intrusions et déclarent la guerre au régime d’Amapura, la nouvelle capitale birmane bâtie en 1783 au nord d’Ava. Après deux ans de conflit, les troupes britanniques sortent victorieuses des Birmans et mettent la main sur les deux zones convoitées ; leur Empire, le Raj, va y développer la plantation de thé avec l’appoint d’une main d’œuvre, pour partie musulmane, venue du Bengale et du centre de l’Inde. Les Anglais s’emparent aussi de l’Arakan et du Tenasserim et installent un résident à Ava, redevenue la capitale du pays.

D’abord apaisées, les relations entre les deux monarchies finissent à nouveau par se dégrader, ce qui conduit les Anglais à une nouvelle intervention militaire (1852-1853), à l’issue de laquelle ils annexent toute la basse Birmanie. Un nouveau roi établit la capitale birmane à Mandalay, s’emploie à moderniser le pays et à l’ouvrir à de nouveaux partenaires étrangers. Mais les relations avec le Raj demeurent si tendues que Londres intervient une troisième fois en 1885, pour conquérir la haute-Birmanie et mettre fin à la monarchie de Mandalay. En pratique, le colonisateur partage en deux l’administration du pays : l’Inde britannique se charge de la « Birmanie proprement dite » (Burma Proper), avec Rangoon comme capitale ; une large autonomie de gestion est en revanche accordée aux minorités ethniques des zones frontalières, en particulier aux seigneurs Shans et Chins, tandis que les Karennis ne seront jamais soumis véritablement. En parallèle, les missionnaires chrétiens convertissent de nombreux peuples des collines, en particulier les Karens dont certains migrent en nombre vers les villes de Basse-Birmanie et du Tenasserim.

[1] Le protectorat français sur le Cambodge est appliqué de façon si rigide qu’il suscite des révoltes en 1885-1886, avant un retour à une application plus souple à partir de 1897.


Protectorats français et indépendance birmane

Au Laos, le royaume de Luang Prabang est soumis, au milieu du XIXème, aux répercussions des événements se produisant en Chine : d’abord des incursions de Hmong qui, venus du Sichuan et du Yunnan, s’installent sur les hauteurs du nord-est, où la France va les encourager à cultiver du pavot et produire de l’opium pour l’exporter en Chine, alors en proie aux « guerres de l’opium » entre la dynastie Qing et les Britanniques. Ce sont ensuite des bandes issues de la révolte des Taiping, les Ho. Profitant de l’avènement d’un nouveau roi à Luang Prabang – et de la faiblesse passagère des Vietnamiens – le Siam lui propose ses services pour mettre fin aux exactions des brigands et pour mater une révolte des Kha môn-khmers survenue dans la première moitié des années 1870. Mais la cour vietnamienne de Hué ne l’entend pas ainsi : évoquant le traité qu’elle a signé en 1884 avec Paris, elle demande à la France d’intervenir pour sauvegarder ses droits au Laos, en l’occurrence sa suzeraineté sur le Tranninh (Xieng Khouang), le Kham Mouan (centre) et Vientiane. Les Français l’ayant aidé à reprendre Luang Prabang, tombée en 1887 aux mains d’irréguliers chinois (les Pavillons noirs), le souverain lao demande le protectorat de Paris. Le Siam s’y opposant, via des infiltrations armées, la France occupe toute la rive gauche du Mékong en 1893, ce qui contraint Bangkok à renoncer à ses droits sur celle-ci.

Dans le même temps, Paris hérite des droits du Vietnam au Laos et procède au redécoupage du pays lao réunifié : aux côtés du royaume de Luang Prabang, qui bénéficie d’un régime spécial de protectorat, figurent neuf provinces administrées directement par des résidents français. En 1899, l’ensemble rejoint l’Union indochinoise, à laquelle avait déjà adhéré le Cambodge douze ans plus tôt[1]. Au début du XXème siècle, les protectorats de la France s’agrandissent de nouvelles zones reprises au Siam : les régions de Bassac (Champassak) et de Paklay sur la rive droite du Mékong pour le Laos (1902-1904), les territoires du nord (1904) ainsi que les provinces de Battambang et Siam Reap (1907) pour le Cambodge.

En Birmanie, la résistance contre l’occupation britannique est encore active au début des années 1890 : le Kokang, frontalier de la Chine, n’est soumis qu’en 1897, après trois siècles et demi de quasi-indépendance. Au début du XXème, elle prend un caractère culturel et religieux. Fondée en 1906, l’Association des jeunes bouddhistes se transforme, en 1920, en Conseil général des associations birmanes, afin d’unifier l’opposition. Londres lâche du lest et, en 1923, la Birmanie se voit dotée d’un gouvernement distinct au sein de l’empire des Indes. Mais les revendications nationalistes ne fléchissent pas : fin 1930, un moine bouddhiste déclenche une révolte paysanne antifiscale en basse-Birmanie ; en 1934, naît une organisation de masse, le Dobama Asi-ayone (« Nous les Birmans »). Sous le nom de Thakin (maîtres), ces partisans de l’indépendance propagent leurs idées de « socialisme bouddhique » jusque dans les campagnes. En 1937, le Government of Burma Act distingue totalement la Birmanie du reste de l’Empire et instaure une Constitution parlementaire, avec Ba Maw comme Premier ministre. Mais les idées indépendantistes continuent à gagner du terrain : le PC birman est fondé en août 1939 et une Union des syndicats en janvier suivant. Elles s’accompagnent de violences xénophobes qui contraignent de nombreux Indiens, arrivés dans la foulée des Britanniques, à quitter le pays.

Le déclenchement de la seconde Guerre mondiale conduit les leaders nationalistes birmans à se rapprocher du Japon, qui a hébergé certains d’eux – les « trente camarades » – quand ils étaient pourchassés dans leur pays et qui leur a promis l’indépendance. Après de violents combats contre les Anglais et leurs supplétifs issus des minorités nationales, en particulier des Karens, les troupes nippones entrent en Birmanie par le sud, en janvier 1942. En 1943, elles nomment un gouvernement local fantoche dirigé par Ba Maw et dont le ministre de la Défense, Aung San, est chargé de diriger une guérilla de libération. Mais la cohabitation des nationalistes birmans avec le nouveau tuteur nippon finit par devenir difficile. Aung San lui-même en vient à douter de la sincérité des promesses d’indépendance des Japonais, dont les troupes commettent des exactions qui lui aliènent la population. En mars 1945, l’Armée de l’indépendance birmane se soulève contre Tokyo et combat ses forces jusqu’à l’arrivée des soldats britanniques, quelques semaines plus tard. Alors que le Royaume-Uni n’est prêt à concéder qu’une indépendance progressive, Aung San parvient à obtenir une indépendance immédiate, en janvier 1947 à Londres. Dans la foulée, sa très hétéroclite Ligue antifasciste pour la liberté du peuple (AFPFL) remporte la quasi-totalité des sièges à l’Assemblée constituante. Mais son triomphe est de courte durée : il est assassiné en juillet 1947, six mois avant l’indépendance formelle du pays, sans doute à l’instigation d’un de ses principaux rivaux politiques, qui est arrêté et exécuté.

[1] Créée en 1887, l’Union indochinoise comprend aussi les régions vietnamiennes du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine, ainsi que le Kouang-Tchéou-Wan, territoire de 1300 km² situé au nord de l’île d’Hainan (cédé par bail à la France en 1898, il est rétrocédé à la Chine en 1945).


Les indépendances laotienne et cambodgienne

Au Laos, la pacification prend plusieurs décennies. De 1901 à 1907, les Kha se rebellent une nouvelle fois, sur le plateau méridional des Boloven ; au nord, ce sont les Hmong et des Chinois qui se révoltent entre 1914 et 1922. Une fois venu à bout de ces insurrections, le protectorat français met en place un programme de développement économique qui tarde à décoller (à la différence de l’essor et du calme que connait le Cambodge à la même période) : quelques élites locales émergent difficilement et l’essentiel de la main d’œuvre est constituée d’immigrés vietnamiens. À partir de 1937, le pays doit aussi faire face au retour des ambitions siamoises. Grâce au soutien japonais, le régime nationaliste de Bangkok obtient de l’État français la rétrocession des deux territoires perdus en 1902-1904. En guise de compensation, le gouvernement de Vichy attribue au royaume de Luang Prabang trois provinces jusqu’alors gérées directement par la France (Haut-Mékong, Xieng Khouang et Vientiane).

Proclamée au printemps 1945, après que les Japonais – déployés dans le pays – ont évincé l’administration française en place, l’indépendance laotienne est confirmée par le prince Petsarath, après la capitulation nippone. Membre de la famille royale de Luang Prabang, il annonce la réunification du pays par réunion de son royaume et des quatre provinces méridionales. En octobre, il forme un gouvernement provisoire de l’État lao (Pathet Lao), dont le premier acte est de dénoncer tous les traités signés avec la France, contre l’avis du roi, mais avec le soutien de la République démocratique du Vietnam qui vient d’être proclamée à Hanoï. La France n’entend pas se laisser évincer : avec des soutiens laotiens, elle remet la main sur les territoires qu’elle avait dû restituer en 1941 au Siam, puis reprend Luang Prabang en mai 1946. Le gouvernement indépendantiste s’enfuit à Bangkok et Paris impose son rythme au roi : en 1947, le Laos est doté d’une Constitution qui en fait une monarchie parlementaire, dans laquelle la France conserve de larges pouvoirs. Une nouvelle Convention, signée en juillet 1949 avec le gouvernement dirigé par Boun Oum, un prince du Champassak, va plus loin : le Laos devient indépendant, sous la forme d’un État associé à l’Union française.

Le processus est en partie similaire au Cambodge. Les Japonais ont obtenu de l’État français le droit de stationner des troupes (pour attaquer la Birmanie et la Malaisie) et l’ont contraint de restituer à son allié siamois les territoires récupérés au début du XXème. Sous la pression japonaise, le roi Norodom Sihanouk proclame l’indépendance du royaume du Kampuchéa en mars 1945. Mais les Français reprennent la main. En 1946, ils signent avec le jeune souverain un accord attribuant au Cambodge un statut d’autonomie interne, puis forcent le Siam à rendre les territoires qui lui avaient été rétrocédés en 1941. Après l’engagement de Norodom à substituer une monarchie constitutionnelle à la monarchie absolue, une Constitution est adoptée en 1947. Mais cette évolution apparait insuffisante aux nationalistes du Parti démocrate, de même qu’aux rebelles Khmers Issarak que la Thaïlande soutient depuis 1940. En novembre 1949, la France reconnait donc l’indépendance du royaume, tout en y conservant des pouvoirs non négligeables. En conflit avec le principal parti de son Parlement et plusieurs groupes combattants, tels que les Khmers Serei (nationalistes) et la faction communiste des Khmers Issarak, Sihanouk décide d’assurer en personne le pouvoir exécutif, en 1952, et demande au peuple un mandat de trois ans pour redresser le pays et obtenir une indépendance réelle. Les Français rechignant à l’accorder, le monarque menace de solliciter l’aide des communistes vietnamiens et obtient ainsi l’ouverture de négociations. Elles aboutissent, en novembre 1953, à un accord franco-khmer consacrant l’indépendance réelle du Cambodge. Celle-ci est confortée l’année suivante : d’abord à la conférence de Genève mettant fin aux guerres françaises en Indochine, puis à l’occasion de la dissolution de l’Union économique et monétaire indochinoise en décembre.