Bosnie-Herzégovine

Bosnie-Herzégovine

La guerre a pris fin, mais les tensions communautaires demeurent vives dans un pays aux institutions extrêmement complexes.

51 197 km2

République fédérale

Capitale : Sarajevo

3,8 millions de Bosniens[1]

[1] Le gentilé « Bosnien » sert à désigner tous les citoyens du pays, le terme « Bosniaque » qualifiant ceux de confession islamique (la nationalité « Musulmane » de l’ex-Yougoslavie).

Possédant une minuscule fenêtre de 20 km sur la mer Adriatique (l’enclave de Neum), le pays partage un peu plus de 1500 km de frontières terrestres avec trois pays : près de 960 km avec la Croatie à l’ouest et au nord, près de 350 km avec la Serbie à l’est et plus de 240 km avec le Monténégro au sud. L’État fédéral est constitué de trois entités ayant fait l’objet d’un découpage complexe (cf. Encadré) : la Fédération croato-musulmane (deux tiers des habitants, surtout Bosniaques et Croates, sur environ 51 % du territoire), la République Sprska (un tiers des habitants, Serbes, sur environ 49 %) et le district autonome de Brcko (493 km² au nord-est).

Traversé par les Alpes dinariques (dont le point culminant local fait un peu moins de 2 400 m), le pays est formé de deux régions géographiques et historiques principales : la Bosnie montagneuse et forestière au nord (sur 40 000 km²) et l’Herzégovine des collines et des plaines au sud. L’essentiel des délimitations avec les pays voisins est constitué de rivières (la Save et ses affluents de la Drina et de l’Una) et de montagnes. Selon les zones, le climat est alpin, continental modéré ou méditerranéen.

Environ 50 % des Bosniens sont Bosniaques, 31 % Serbes (Bosno-Serbes) et 15 % Croates (Bosno-Croates). Tous parlent des langues (bosnien, serbe et croate) très proches les unes des autres, car issues, comme le monténégrin, du slave méridional longtemps appelé serbo-croate. Les autres habitants sont principalement Rom, Juifs, Valaques et Turcs.

La moitié de la population est de confession musulmane, très majoritairement sunnite ; 31 % est orthodoxe (les Serbes) et 15 % catholique (les Croates). 

SOMMAIRE

Une guerre de plus de trois ans

A peine l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine proclamée en mars 1992 (cf. Yougoslavie et Serbie), la guerre éclate avec le gouvernement fédéral de Belgrade. Les communautés non musulmanes du pays, elles, ont déjà pris les devants : la république d’Herceg-Bosna a été instaurée dès novembre 1991 dans les zones peuplées majoritairement de Croates (la région de Mostar et le sud-ouest) et la « république des Serbes de Bosnie et Herzégovine » (future république serbe de Bosnie, RSB) instituée en janvier suivant. La guerre tourne aux affrontements tous azimuts, sur fond de haine ethnique, entre « tchetniks » Serbes, « oustachis » Croates et « moudjahidines » Musulmans, dont les rangs ont été renforcés par des réfugiés du Sandjak. Le camp bosniaque est lui-même traversé par des divisions, notamment de la part de brigades islamiques qui agissent indépendamment de leur propre armée, considérant qu’elle comporte trop de soldats athées de l’ancien régime[1]. Malgré le déploiement des casques bleus de la Forpronu, les combats font des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés. L’armée fédérale yougoslave, renforcée par des milices, contrôle rapidement les trois-quarts de la Bosnie, où elle assiège Sarajevo, et plus d’un quart de la Croatie, en guerre depuis août 1991.

En mars 1994, les États-Unis interviennent : imposant aux Croates et aux Bosniaques de s’allier, ils arment en sous-main la Croatie qui, à l’été 1995, reprend une partie de ses territoires perdus. L’offensive de Zagreb permet aux Bosniaques de desserrer l’étau que les milices de la république serbe de Krajina (RSK), autoproclamée en Croatie, exerçaient sur l’enclave de Bihac. Les Musulmans suspectent toutefois leur « allié » croate de vouloir se partager la Bosnie avec Belgrade. Les Bosniaques dénoncent aussi l’inefficacité des forces de l’ONU : leur vice-premier ministre est d’ailleurs assassiné, début 1993, à un check-point de miliciens serbes, alors qu’il se trouvait à bord d’un véhicule blindé de la Forpronu. L’organisation internationale réagit, au moins sur le plan juridique, en décidant de créer un Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY) pour juger les crimes de guerre commis dans la région, le premier du genre depuis ceux qui avaient condamné les criminels nazis et nippons au lendemain de la deuxième Guerre mondiale. Si les Serbes sont considérés comme les premiers responsables des atrocités commises en Bosnie, les Bosniaques ne sont pas en reste : ils sont accusés de tirer sur les casques bleus et même sur leur propre population, en faisant passer ces tirs pour des agressions serbes, afin de s’attirer la sympathie de la communauté internationale et de l’obliger à intervenir.

Le comble de l’horreur est atteint à Srebrenica : l’enclave est prise par les Serbes en juillet 1995, après des mois de siège que les bombardements de l’OTAN ne sont pas parvenus à briser, faute d’observateurs au sol pour guider ses tirs ; les soldats néerlandais présents sur place sont accusés de s’être enfuis, voire d’avoir pactisé avec les agresseurs, mais leur gouvernement se défend en mettant en cause le commandant français de la Forpronu, qui aurait refusé de fournir le soutien aérien demandé. Sur soixante mille habitants présents, six mille sont massacrés ou se suicident pour échapper aux tortures et aux viols ; des blessés sont exécutés, des prisonniers enterrés vivants dans des fosses communes, des détenus obligés de manger les organes d’un parent exécuté sous leurs yeux… Après-guerre, des charniers seront découverts dans tout le pays, en particulier à Prijedor dans l’ouest et dans les mines de fer à ciel ouvert de Ljubija, dans lesquelles des centaines de prisonniers ont été précipités par les Serbes.

Le massacre de Srebrenica agit comme un déclic. Après avoir levé leur embargo sur la livraison d’armes aux Bosniaques, qui ne contrôlent plus que 20 % de leur république (contre 70 % aux Serbes et 10 % aux Croates), les États-Unis reprennent l’initiative diplomatique et élaborent un plan de paix, vivement contesté par les radicaux de la RSB : en août, un bombardement serbe fait une trentaine de morts sur un marché de Sarajevo. L’OTAN réplique par de violents bombardements sur des batteries et dépôts de munitions aux alentours de la capitale, mais aussi de Mostar, Goradze et Tuzla. En parallèle, les Bosniaques et les forces croates lancent une offensive en Bosnie centrale et s’avancent vers Banja Luka, place forte de la RSB au nord-ouest. En quelques jours, ils reprennent le contrôle de 60 % de la Bosnie-Herzégovine. Mi-novembre, un nouveau coup est porté au camp serbe par le TPIY qui inculpe leurs chefs Karadzic et Mladic pour leur participation aux massacres de Srebrenica, qualifiés de génocide.

[1] La plupart des combattants venus de l’étranger ne resteront toutefois pas en Bosnie, déçus par la faible religiosité de leurs congénères musulmans bosniaques.


Dayton et les limites de la paix

Fin novembre 1995, deux accords de paix mettent fin aux guerres en Croatie et en Bosnie. Cette dernière a fait 97 000 morts en trois ans et demi[1] : plus de 11 500 personnes sont mortes dans le seul siège de Sarajevo, le plus long de l’Histoire (1 395 jours). Signé à Dayton, aux États-Unis, l’accord prévoit que la Bosnie-Herzégovine, reconnue dans ses frontières d’avant-guerre, soit composée de deux entités : la Fédération croato-musulmane (FCM) sur environ 51 % du territoire (dont environ 30% aux Bosniaques) et la Republika srpska (RS) sur environ 49 %. Ayant Sarajevo comme capitale, l’État fédéral disposera d’un Parlement et d’un Président chargés de questions générales telles que la diplomatie, le commerce extérieur, la politique monétaire et la citoyenneté.

Assorti d’un réarmement des Bosniaques, destiné à rééquilibrer les forces en présence, l’accord compte néanmoins de nombreux points faibles : les dirigeants de Pale s’opposent au retour des quartiers serbes de Sarajevo dans le giron bosniaque, tandis que les Bosno-Musulmans – faute d’accès à la mer – se retrouvent sous la dépendance des Herzégoviniens, nombreux dans les allées du pouvoir à Zagreb. La situation est d’ailleurs tendue dans la capitale de l’Herzégovine, Mostar, que les Croates doivent partager avec les Bosniaques. Quant à l’économie, elle est exsangue : ne fonctionnant plus qu’à 15 % de ses capacités, elle a des besoins immenses, pour démobiliser 200 000 soldats, désamorcer des millions de mines, rapatrier les exilés et reconstruire des logements, notamment pour les réfugiés. Le retour de ces derniers apparaît toutefois très incertain, les Bosniaques de la vallée de la Drina à l’est, comme les Croates de la vallée de la Save au nord, étant peu enclins à revenir dans des régions qui sont devenues majoritairement serbes.

Dans ce contexte, l’arrestation des criminels de guerre n’apparaît pas comme une priorité, ni pour l’IFOR (l’Implementation Force de l’OTAN) qui estime ne pas avoir de mandat pour les arrêter, ni pour Belgrade et Zagreb qui trainent des pieds. Début 1996, Karadzic – qui, malgré les accords de Dayton, conserve d’importantes responsabilités en RSB – peut se rendre de Pale à Banja Luka en franchissant, sans encombre, quatre barrages de l’IFOR. Même Sarajevo doit adopter un profil bas, après la découverte sur son sol, par la force internationale, d’un camp d’entrainement terroriste animé par des Iraniens[2]. Le camp bosniaque est par ailleurs divisé entre le Premier ministre Haris Silajdzic, qui défend l’idée d’une Bosnie-Herzégovine pluriethnique et démocratique, alors que le Président Izetbegovic prône un État musulman dominé par son Parti d’action démocratique (SDA).

La Fédération croato-musulmane n’est par ailleurs qu’une fiction : l’Herceg Bosna conserve des plaques d’immatriculation et une monnaie croates[3] et le maintien de l’ordre y est exercé par les miliciens du HVO (Conseil de défense croate), rattaché à l’État-major de Zagreb et non à celui de Sarajevo ; la Croatie prévoit même des sièges au sein de son parlement pour les Croates de Bosnie. Les tentations autonomistes sont particulièrement fortes dans la région de Bihac, au nord-ouest, davantage tournée vers Zagreb que vers Sarajevo.

[1] Établi par l’ONU en juin 2007, le bilan fait état de 59 % de morts parmi les combattants (54 % de Musulmans, 36 % de Serbes et 10 % de Croates) et 41 % parmi les civils (Musulmans à 83 % et Serbes à 10 %).

[2] En échange de leur livraison d’armes à Sarajevo, les États-Unis obtiendront le limogeage du chef des services secrets, puis des vice-ministre et ministre de la Défense, tous réputés proches de Téhéran.

[3] L’Herceg Bosna est toutefois officiellement dissoute en août 1996 et les deux monnaies de la Fédération (dinar bosniaque et kuna croate) alignées sur le mark allemand.

L’omnipotence des partis nationalistes

La tenue d’élections générales en septembre 1996 est malgré tout décidée, bien que toutes les garanties démocratiques ne soient pas réunies : les criminels de guerre et les partis nationalistes restent omnipotents dans chacun des camps (même si Karadzic a donné le change en démissionnant de la présidence de la RS, en faveur de sa vice-Présidente, Biljana Plavsic, considérée par Belgrade comme une déséquilibrée) et très peu d’exilés sont revenus habiter leur région d’origine ; en autorisant le vote des personnes là où elles se trouvent, la loi électorale entérine de fait la partition du pays. La campagne électorale se déroule dans un climat d’intimidation des opposants, voire de violence : l’ancien Premier ministre Silajdzic est ainsi blessé, à coups de barre de fer, par des militants du SDA, parti qu’il a quitté après avoir démissionné de sa fonction. Les résultats confirment l’emprise des formations nationalistes sur leur électorat : Izetbegovic recueille près de 82 % des suffrages bosniaques, le candidat de Karadzic 75 % des voix serbes (contre 20 % à celui soutenu par Belgrade) et celui de l’Alliance démocratique croate (HDZ) près de 88 % des bulletins croates. Les résultats sont identiques pour l’élection du parlement fédéral comme pour celles des deux parlements fédérés. Ayant obtenu plus de suffrages que ses deux concurrents, le chef du SDA est investi à la tête de la présidence tripartite bosnienne, tandis que le gouvernement unitaire est co-présidé par Silajdzic et par un Bosno-Serbe (la présidence tournant chaque semaine). Les résultats sont entérinés, en dépit de fraudes avérées : des Serbes non-inscrits ont automatiquement été comptabilisés en faveur du Parti démocratique serbe (SDS), tandis que 103 % des électeurs ont voté dans le camp musulman. Afin que les taux de participation soient conformes au nombre d’inscrits, l’organisation du scrutin fait passer de 2,9 à 3,5 millions le corps électoral du pays, ce qui revient à considérer que la population a augmenté malgré la guerre !

Les relations entre communautés restent extrêmement tendues et les exemples de violences abondent, en particulier contre les réfugiés essayant de se réinstaller. Ainsi à Mostar, toujours divisée, la police croate disperse un cortège de musulmans venus se recueillir dans un cimetière pour la fin du ramadan : un participant est tué et le mufti blessé, de même qu’un officier de la SFOR (la force onusienne) ; en représailles, des Croates sont passés à tabac par des Musulmans. Les troupes de l’ONU sont également prises pour cible par les différents camps, en particulier quand elles démantèlent des dépôts d’armes clandestins. Un début de normalisation intervient toutefois en octobre 1996, quand Izetbegovic et le n°1 yougoslave Milosevic signent un accord : Sarajevo y reconnait la République fédérale yougoslave (RFY) comme État continuateur de l’ancienne Yougoslavie et Belgrade s’engage à respecter l’intégrité de son voisin. Les deux parties conviennent de régler de manière concertée les questions de succession et de favoriser la libre circulation de leurs ressortissants et des marchandises. Cet accord est vécu comme une capitulation par les dirigeants de la RS. Le mois suivant, sa Présidente limoge Mladic, qui n’avait cessé de critiquer la corruption régnant parmi la classe politique bosno-serbe.

Début 1997, en dépit des réserves de Belgrade sur la santé mentale de Plavsic, la RS établit des « relations spéciales » avec la RFY, allant au-delà de ce que prévoyaient les accords de Dayton : les Serbes pourront franchir la frontière commune sans visas ni taxes ni accord du gouvernement fédéral, pourtant garant des frontières internationales de la Bosnie-Herzégovine. Accusée par les proches de Karadzic d’être trop conciliante vis-à-vis de la communauté internationale, la dirigeante de la RS engage un bras de fer avec son ancien mentor au début de l’été. Reprenant les critiques de Mladic sur la « clique » corrompue du petit village montagnard de Pale, elle affiche sa volonté de dissoudre le Parlement et fonde un nouveau parti (l’Alliance populaire serbe, SNS) pour disputer les législatives anticipées. La tension entre Bosno-Serbes devient telle que la SFOR doit prendre le contrôle des postes de police de Banja Luka, pour empêcher qu’ils ne tombent entre les mains des forces restées fidèles à Karadzic. L’ONU et le TPIY profitent de ces dissensions pour changer de stratégie quant à l’arrestation des criminels de guerre (cf. Encadré).

Tenues en novembre 1997, les élections entérinent le partage de la RS entre les ultranationalistes à l’est (le SDS qui reste premier mais perd sa majorité absolue et ses alliés du parti radical serbe) et les « modérés » à l’ouest (la formation de Plavsic et ses alliés du parti socialiste de Serbie). Les deux camps parviennent finalement à s’entendre, en janvier 1998, ce qui permet la nomination d’un gouvernement : il est dirigé par le réformateur Milorad Dodik, partisan des accords de Dayton, élu avec les voix du SNS, des socialistes et des deux formations représentant les Croates et Musulmans de RS. Profitant du soutien de Milosevic (qui espère que sa modération entrainera la levée des dernières sanctions américaines), il annonce le transfert progressif des institutions bosno-serbes de Pale à Banja-Luka.


De timides évolutions

Tant bien que mal, quelques signes d’unification de la Bosnie-Herzégovine apparaissent début 1998, comme des plaques d’immatriculation communes aux trois communautés (reprenant les six lettres présentes dans les alphabets latin et cyrillique) et l’institution d’un drapeau commun[1] par le haut représentant civil de l’ONU, le Parlement fédéral n’ayant pu se mettre d’accord. Plus que jamais opposés, les trois camps sont également concurrencés en interne : le SDA bosniaque par les sociaux-démocrates, le HDZ croate par une scission créée par son représentant à la présidence collégiale et les Serbes divisés entre modérés et ultras. Plavsic est d’ailleurs battue, en septembre, à la présidence de la RS : elle doit céder la place à un membre du parti radical qui est démis en mars suivant, par le représentant de l’ONU, pour avoir voulu démettre Dodik, resté Premier ministre. Ce dernier démissionne de son propre chef presque aussitôt, dès qu’il apprend qu’un arbitrage international a décidé de transformer la région controversée de Bcrko en district autonome (cf. Encadré infra).





Un édifice institutionnel et territorial complexe

Les accords de Dayton procèdent à de savants découpages territoriaux, tels que l’attribution à la Bosnie de la petite enclave de Neum, sur l’Adriatique, qui coupe en deux la Dalmatie croate. D’autres découpages sont destinés à englober le maximum de zones peuplées en majorité de Bosniaques et de Croates dans la Fédération croate-musulmane (FCM), tout en évitant que celle-ci ait la moindre frontière avec la Serbie. C’est dans cet esprit qu’un corridor est créé pour relier la ville de Goradze, enclavée en pleine Republika rspska (RS) au reste du territoire bosniaque.
Dans la même logique, deux petites enclaves croates sont créées au nord : si elles sont frontalières de la Croatie, elles sont en revanche totalement séparées de la FCM par le couloir serbe de Posavina (large de 8 km) qui assure une continuité territoriale entre la partie occidentale de la RS (située au sud de la frontière croate) et sa partie orientale (frontalière de la Serbie). A ce titre, les Bosno-Serbes héritent dans un premier temps de la petite région de Brcko (90 000 habitants), au grand dam des Bosno-Croates – le corridor de Posavina isolant le nord de leurs cantons en FCM de la Croatie proche – et surtout des Bosniaques : en perdant Brcko, ils perdent un nœud routier majeur vers l’Europe centrale et surtout un accès au plus grand port fluvial du pays, puisque situé sur la Save, affluent du Danube qui se jette dans l’Adriatique.
Finalement Brcko est transformé en district autonome, placé sous le contrôle direct des institutions fédérales et géré par une administration multiethnique[2]. Ce dispositif vient s’ajouter à un édifice institutionnel déjà complexe : ainsi, chacun des dix cantons de la Fédération croato-musulmane bénéficie d’une autonomie relative et de ses propres institutions.


Après avoir démis le Président de la RS, les représentants de l’ONU et de l’OSCE démettent de leurs fonctions une vingtaine d’élus municipaux (dont les maires serbes de Banja-Luka et de Goradze, mais aussi des élus musulmans et croates de Mostar), notamment pour « avoir entravé de manière persistante le retour des réfugiés et des personnes déplacées ». Les mêmes accusations avaient été portées contre le SDA bosniaque, accusé de pratiquer une politique de discrimination dans l’octroi de logements et d’emplois, dans l’accès aux soins et à l’école, ainsi que dans le partage du pouvoir, afin d’empêcher le retour des anciens habitants serbes et croates de Sarajevo dans leur ville. Sur plus de deux millions de personnes se trouvant dans cette situation, moins de 5 % ont pu réintégrer leur domicile (essentiellement dans la capitale et dans les zones musulmanes de Bosnie centrale) et moins d’un quart ont pu regagner une zone contrôlée par leur communauté, les pourcentages étant encore plus faibles en RS et en Herzégovine occidentale[3].

Au printemps 2001, c’est le représentant croate à la présidence collégiale bosnienne qui est démis de ses fonctions, après que ses compatriotes d’Herzégovine ont annoncé vouloir réactiver leurs propres institutions, sous la houlette d’un HDZ qui a été battu en Croatie mais reste dominant chez les Bosno-Croates. En effet, les institutions de l’État fédéral bosnien, comme celles de la Fédération croato-musulmane, sont passées aux mains d’une coalition réformiste et multiethnique, ayant pris le pas sur le SDA dont le chef a dû se retirer de la politique pour raisons de santé[4] : l’Alliance pour le changement réunit le Parti social-démocrate (SDP), le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH) de Siljadzic et huit autres formations. Dans le camp serbe, les sociaux-démocrates indépendants de Dodik (SNSD) ont été laminés aux élections générales de novembre 2000 ; le pouvoir en RS est exercé par une alliance de nationalistes et de réformistes qui, en mars 2001, signent un accord spécial avec Belgrade dans les domaines économiques, sociaux, culturels et militaires.

[1] Drapeau bleu à étoiles blanches, référence à l’Europe, et triangle jaune représentant les trois communautés.

[2] Avant la guerre, Brcko comptait 47 % de Musulmans et 22 % de Croates.

[3] Rapport de l’International Crisis Group (décembre 1999). Fin 2004, la situation s’est améliorée selon le HCR : un million de réfugiés auraient retrouvé leur ville d’origine, en majorité en RS. Un autre million n’est pas rentré et, en octobre 2016, Srebrenica élit un maire serbe, dans une ville désertée par sa population bosniaque.

[4] Izetbegovic décède fin 2003.

La radicalisation des Bosno-Serbes

En 2005, les trois communautés conviennent de faire fusionner leurs forces en une armée unique dans les deux ans. En revanche, elles ne parviennent pas à s’entendre sur l’instauration d’un nouveau cadre institutionnel, destiné à remplacer le dispositif intérimaire établi par les accords de Dayton. En 2008, l’indépendance du Kosovo ravive les revendications des Bosno-Serbes, qui proclament leur droit de faire sécession. Le poids des nationalistes en RS se renforce d’ailleurs aux élections d’octobre 2010, alors que les résultats sont plus mitigés dans les camps croate et bosniaque : les modérés progressent, mais c’est le fils Izetbegovic (candidat du SDA) qui est élu à la présidence collégiale. Dans ce contexte, les institutions fédérales se retrouvent bloquées et il faut quinze mois pour que les frères ennemis bosniens se mettent d’accord sur la formation d’un gouvernement, en vue de recevoir des aides économiques d’urgence du FMI et de l’Union européenne. Cette paralysie institutionnelle, ajoutée à un chômage qui touche plus de la moitié des jeunes, provoque une flambée de protestation, début 2014, en Fédération croato-musulmane : son siège de Sarajevo est partiellement incendié. Les divisions communautaires du pays trouvent une nouvelle illustration, quelques mois plus tard, lors du centième anniversaire de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo : en RS, son assassin est célébré comme un héros, sous la direction du cinéaste Kusturica qui lui a même dédié une ville touristique près de Visegrad.

De fait, les lignes politiques bougent très peu. Aux élections suivantes, le SDA retrouve sa première place dans le camp bosniaque, tandis que Dodik et son SNSD conservent globalement la primauté en Republika Srpska. Les évolutions sont des plus timides : en octobre 2018, le SDP devance le HDZ qui militait en faveur d’une entité croate à part entière. Mais Bosniaques et Croates ne s’avèrent pas pour autant capables de former un gouvernement pour diriger leur Fédération. Deux ans plus tard, les élections municipales de Sarajevo sont remportées par une coalition opposée aux partis communautaires : la nouvelle maire est la fille d’un Bosniaque et d’une Serbe. Rien ne change en revanche en RS, où l’hymne serbe est devenu obligatoire à la rentrée scolaire 2021 et où l’usage de l’alphabet cyrillique est fortement encouragé dans les entreprises. Ayant rompu avec les instances collégiales bosniennes, le chef des Bosno-Serbes affirme par ailleurs son intention de doter son entité de sa propre armée et de ne plus participer à l’armée nationale.

Les complexes élections générales d’octobre 2022 sont marquées par un fait sans précédent : la défaite du fils Izetbegovic comme candidat bosniaque à la présidence collégiale du pays ; il est battu par le candidat du SDP, allié à une dizaine de formations de l’opposition réformiste et citoyenne. Côté croate, le même candidat est élu pour un quatrième mandat, à la fureur du HDZ qui exige une réforme des institutions : les électeurs bosniaques étant largement majoritaires au sein de l’entité commune, ils choisissent à chaque fois un candidat croate modéré et non un membre du parti nationaliste proche de Zagreb. Côté serbe, la confusion est grande : chantre de la lutte contre la corruption, dont est accusé le Président sortant de RS, la candidate de l’alliance PDP / PDS revendique la victoire mais, finalement, Dodik est proclamé vainqueur. Fidèle allié de la Russie, en guerre en Ukraine, le Président bosno-serbe multiplie les manifestations de soutien à Moscou et à Belgrade, ainsi que ses intentions sécessionnistes les mois suivants. A l’été 2023, il fait voter deux lois interdisant l’entrée en vigueur dans l’entité serbe des arrêts de la Cour constitutionnelle bosnienne et des décisions du haut représentant chargé de la mise en œuvre des accords de Dayton, auquel il interdit tout accès à la RS. Ceci lui vaut d’être condamné par la Cour bosnienne, en février 2025, à un an de prison et à l’interdiction d’exercer ses fonctions pendant six ans. Rejetant ce jugement, Dodik promulgue une loi interdisant à la police et à la justice fédérales d’exercer leur autorité en Republika Srpska.