L’Afrique orientale jusqu’aux indépendances modernes

L’Afrique orientale jusqu’aux indépendances modernes

Des grands lacs jusqu’à l’océan Indien, entre royaumes bantous et sultanats arabo-swahilis.

Géographiquement, l’Afrique orientale est composée de quatre grands ensembles.

  • A l’ouest, un fossé d’effondrement, le Rift occidental qui accueille quatre grands lacs, du nord au sud : Albert, Édouard, Kivu et Tanganyika (32 900 km², troisième au monde par le volume après la mer Caspienne et le lac Baïkal et deuxième au monde par la profondeur après le Baïkal) ; la faille est bordée de hauts sommets tels que le pic Marguerite (mont Stanley) culminant à 5 109 mètres en Ouganda dans la chaîne du Rwenzori (« faiseur d’eau ») et les monts Virunga qui, entre les lacs Édouard et Kivu, atteignent 4507 m (au mont Karisimbi).
  • A l’est du Rift occidental, un plateau de plus de 1000 mètres d’altitude, dont une partie est occupée par le lac Victoria (68 100 km², troisième superficie au monde), dans lequel se déversent plusieurs cours d’eau coulant depuis les sommets du Burundi et du Rwanda ; ils sont considérés comme les « sources » du Nil blanc qui, beaucoup plus au nord, converge avec le Nil bleu (venu, lui, des hauts plateaux d’Éthiopie) pour former le Nil proprement dit ;
  • L’est du plateau est entaillé par une deuxième grande faille, le Rift oriental (Great Rift Valley), qui court du lac Turkana (ex-Rodolphe) au nord jusqu’au centre de la Tanzanie au sud ; il est surplombé de hauts volcans : le massif du Kilimandjaro et le mont Kenya (plus hauts sommets d’Afrique à plus de 5000 mètres) à l’est, le mont Elgon à l’ouest ;
  • A l’extrême-est du plateau s’étend une plaine littorale jalonnée d’îles, dont celles de l’archipel de Zanzibar.

Les zones les plus fertiles se trouvent sur le littoral (qui bénéficie d’une mousson), sur les pentes des volcans, dans les massifs du Rift oriental et sur le pourtour du lac Victoria. A l’inverse, l’aridité prédomine au Nord-Est et dans l’est du plateau.


Vers -1000, des populations « bantoues » (mot forgé par un linguiste du XIXe) arrivent en lisière de la forêt équatoriale, en provenance de l’actuel Cameroun via les affluents du fleuve Congo. Agriculteurs, ils défrichent la région des Grands Lacs. Au milieu du premier millénaire AEC, ils atteignent les abords du lac Victoria, puis se dirigent vers la côte. Ils supplantent ou refoulent certains peuples déjà implantés, tels que les Khoisan (dont descendent les Hadza et Sandawe actuels de Tanzanie) et les Pygmées, les deux familles ayant peut-être une origine commune. Les Bantous rencontrent aussi des populations issues du Nord, de langue couchitique (les Iraqw) ou nilotiques (les Masaï). Au Ve EC, ils franchissent le Limpopo, en direction de l’Afrique australe. Ils fonderont l’État dit du Grand Zimbabwe au sud du Zambèze.

Sur le littoral, l’existence de centres commerciaux tels que Mombasa est connue depuis au moins le IIe siècle de l’ère commune. Ils prennent un essor majeur au VIIIe, avec l’arrivée de princes Omanais qui établissent des comptoirs le long de la côte, de Mogadiscio en Somalie à Pate au nord Kenya, puis dans l’actuelle Tanzanie : Pemba (en 730), puis Zanzibar (« rivage des Noirs » en arabe) et l’archipel de Kilwa, un peu plus au sud. Ils s’y livrent en particulier au commerce d’esclaves bantous dits Zandj (« Noir » en arabe, pour les distinguer des Abyssins de l’intérieur) : raflés dans l’arrière-pays, avec la complicité d’ethnies locales, ils sont acheminés vers le Moyen-Orient, la Perse, l’Inde, l’Indonésie, la Chine… Existant depuis au moins le VIe EC, à la faveur des guerres et des razzias, la traite intra-africaine s’accentue, du fait des débouchés qu’offrent les commerçants musulmans. Dans la religion islamique, les incroyants tels que les « cafres » d’Afrique peuvent être réduits en esclavage et servir dans les harems, les exploitations agricoles, l’armée…

Au Xe, ce sont des Persans – en particulier des colons de la ville de Chiraz – qui s’installent à Mombasa, Pemba, Kilwa et Anjouan aux Comores. Ce brassage de populations avec les Bantous déjà présents donne naissance à une culture connue sous le nom de Swahili (de l’arabe sahil qui signifie « rivage »), qui utilise sa propre langue (le kiSwahili) et écrit en arabe. Au XIIIe siècle, le sultanat swahili de Kilwa – dirigé par des Persans de Chiraz – prend l’ascendant et soumet les autres cités de la côte dite de Zanguebar, prospérant grâce aux commerces d’ivoire, d’éléphants et d’hippopotames, de cornes de rhinocéros, de cuivre, d’écailles de tortue, de perles et grâce à l’or provenant de Sofala, sur la côte mozambicaine.

A l’intérieur des terres, des États constitués se sont formés, comme le royaume bantou de Kitara. A son apogée au XVe, il est submergé au siècle suivant par des Nilotiques occidentaux venus s’installer sur les bords du lac Victoria : ces Bito organisent un nouveau royaume, le Bunyoro, tandis que l’aristocratie du Kitara – les Hima (ou Hema) – fonde des États un peu plus au sud : le royaume du Karagwe (à l’ouest du lac Victoria), puis celui d’Ankole (à l’est du lac Édouard). Entre le XVe et le début du XVIIe, l’unification de chefferies Tutsi (groupes d’éleveurs dont font partie les clans Hima) donne naissance au royaume du Rwanda, puis à celui du Burundi.

D’autres peuples bantous sont également organisés en petits royaumes, à l’image des Zinza au sud du lac Victoria, des Ha au nord-ouest du Tanganyika, des Nande (à l’est du lac Albert), des Hunde (entre lacs Albert et Kivu). Dans les zones fertiles du nord-ouest du lac Victoria, les (Ba)Ganda forment une confédération de clans, placés sous l’autorité très théorique d’un souverain unique. Partout ailleurs, les ethnies n’ont pas de structures étatiques, qu’elles soient nilotiques (comme les Turkana du lac éponyme, les Acholi et les Luo des savanes au nord et à l’est du lac Victoria) ou bantoues (les Kikuyu au pied du mont Kenya ou les Nyamwezi des savanes méridionales). Un certain nombre de groupes, évincés des savanes du Nord par les pasteurs Masaï (Nilotiques orientaux), abandonnent l’élevage pour se convertir à l’agriculture : c’est le cas des Nilotiques méridionaux aujourd’hui qualifiés de Kalenjin.


Sur la côte, la prospérité des cités- États est telle qu’elle attire les Portugais : entre 1505 et 1507, ils y établissent une série de comptoirs qui se livrent eux aussi au commerce de l’or, du textile, des épices, de l’ivoire et des esclaves. Mais leurs tentatives de monopoliser le trafic de l’océan Indien tournent court. Dès 1512, ils sont chassés de Kilwa, qui retrouve une partie de son lustre, puis doivent affronter des révoltes à la fin du XVIe et tout au long du XVIIe. En 1698, ils sont expulsés de Zanzibar par l’alliance de la dynastie au pouvoir à Oman avec le sultanat de Pate (peut-être fondé au début du XIIIe par des réfugiés omanais). En 1730, le Portugal ne contrôle plus que le littoral mozambicain. Les côtes kényane et tanzanienne font désormais partie du sultanat d’Oman et Zanzibar, qui s’empare de Kilwa en 1784.

Dans les années 1800, Zanzibar devient un carrefour commercial majeur entre les Arabes et les Indiens (ivoire, esclaves et girofle, originaire des Moluques). Le commerce est alimenté par de fréquents raids vers l’intérieur des terres, dans les actuels bassins du lac Tanganyika, du Congo et du Zambèze. Sur les 17 millions d’Africains capturés par des négriers musulmans entre le VIIe et le XIXe siècle, environ 8 millions auraient été razziés dans les régions proches de l’océan Indien et de la mer Rouge. Entre 1830 et 1872, quelque 700 000 esclaves transitent par Zanzibar vers le Golfe persique. Dans les années 1860, les Arabo-Swahilis pénètrent encore plus profondément sur le continent et atteignent le Katanga, ainsi que le Maniema (haut bassin du Congo), en franchissant ou en contournant le lac Tanganyika.

Leur activité commerciale bénéficie du concours de populations locales, comme les Yao de l’arrière-pays de Kilwa, les Kamba (proches des Kikuyu) de l’arrière-pays de Mombasa et les Nyamwezi, qu’un de leurs chefs est parvenu à organiser à la fin des années 1830. Environ trente ans plus tard, ces chasseurs d’éléphants émérites s’aventurent jusqu’au Katanga où, sous le nom de Yeke, ils fondent un royaume Garenganze qui disparaitra au début des années 1890, non sans avoir fourni force cuivre, ivoire et esclaves aux Arabo-Swahili. D’autres royaumes participent au trafic comme le Rwanda et le Buganda.

Issu du regroupement des clans Baganda, ce dernier s’est étendu au XVIIIe siècle, en particulier au détriment du Bunyoro, en direction du lac Albert au nord-est. Dans les années 1840-1850, le Buganda parachève sa conquête des rives orientales et méridionales du lac Victoria en annexant ou vassalisant le Karagwe et les petits royaumes des Haya et des Zinza. Avec l’implantation, dans les années 1820-1840, de commerçants arabes descendus d’Égypte puis swahilis venus de la côte, le Buganda s’islamise. Pour atténuer l’influence musulmane, le kabaka (roi) autorise aussi l’implantation de missionnaires chrétiens à la fin des années 1870. Il accède ainsi aux demandes de Stanley, l’un des explorateurs occidentaux qui, depuis le milieu du XIXe, se sont lancés à la recherche des sources du Nil blanc, des Grands lacs et de leurs débouchés dans le bassin du fleuve Congo.

Sur la côte, Zanzibar a atteint une telle richesse que, en 1840, sa ville principale remplace Mascate comme capitale du sultanat d’Oman et Zanzibar. Mais, à la mort du sultan, la guerre de succession à laquelle se livrent ses héritiers aboutit au partage en deux de l’État omanais en 1856 : soutenu par les Britanniques, Zanzibar devient un sultanat indépendant, qui contrôle tout le littoral allant du cap Delgado (au nord de l’actuel Mozambique) jusqu’à l’île de Lamu, à la frontière entre le Kenya et la Somalie. En 1888, le sultan cède le contrôle de ses territoires continentaux : ceux du Kenya à la Grande-Bretagne et ceux du Tanganyika à l’Allemagne.


Signé en juillet 1890, le traité de Heligoland-Zanzibar règle les différends entre les deux Empires coloniaux. Il laisse les mains libres à l’Allemagne pour prendre le contrôle de la côte de Dar es Salam et former le cœur de l’Afrique orientale allemande. En échange, l’Allemagne laisse à la Grande-Bretagne le protectorat du petit sultanat du Wituland (Deutsch-Witu, au nord de Mombasa), des parties d’Afrique de l’Est (essentielles au Royaume-Uni qui souhaite construire un chemin de fer jusqu’au lac Victoria) et promet de cesser définitivement toute vue expansionniste sur le sultanat de Zanzibar[1]. Le Royaume-Uni y déclare d’ailleurs un protectorat (en 1890), puis prend le contrôle total de Zanzibar en 1896, à l’issue d’un conflit avec le sultan qui est considéré le plus court de l’histoire (une trentaine de minutes).

En 1894, Londres établit également un protectorat sur l’Ouganda, riche région agricole qui contrôle les sources du Nil blanc. Les Britanniques s’appuient sur l’administration du royaume du Buganda, dont ils ont repris le nom, pour gérer un territoire qui agglomère aussi de nombreux petits royaumes bantous avoisinants (comme le Bunyoro et l’Ankole), mais aussi les chefferies de peuples nilo-sahariens du Nord (comme les Acholi et les Langi). Cette politique génère des disparités et des rivalités entre les différents groupes qui constituent le protectorat.

Les Anglais établissent aussi un protectorat sur l’Est africain qui, en 1920, devient une colonie bientôt connue sous le nom de Kenya, celui de son plus haut sommet (la « montagne de l’autruche » dans la langue des Kimba vivant à son pied). L’Allemagne ayant été vaincue lors de la Première guerre mondiale, le Tanganyika devient l’objet d’un mandat que la Société des Nations confie à la Grande-Bretagne, laquelle administre le territoire comme une colonie. La Belgique récupère de son côté l’administration des Rwanda et Urundi allemands.

Après la deuxième Guerre mondiale, Londres s’efforce de promouvoir une politique « multiraciale » dans ses possessions, afin d’atténuer les privilèges dont jouissent les colons. Privés de terres, les Kikuyu du Kenya en sont arrivés à squatter les terrains laissés en jachère par les Européens et à fonder, en 1925, la Kikuyu central association (KCA), dont un des leaders conduira le pays à l’indépendance, sous le nom de « Jomo Kenyatta ». En 1952, des Kikuyu radicaux sont en pointe dans la révolte dite des Mau Mau, qui commence par une campagne de sabotage et d’assassinats de coloniaux. Sa répression par les Britanniques, jusqu’en 1960, fait entre 10 000 et 15 000 morts. Elle envoie aussi 160 000 personnes dans des camps, où elles sont soumises à des viols, castrations, asphyxies par mélange d’eau et de kérosène. Londres acceptera, en 2013, d’indemniser les survivants de ces violences, sur la base de documents déclassifiés évoquant, par exemple, le décès d’un prisonnier « rôti vivant ».

Les quatre colonies et protectorats britanniques accèdent à l’indépendance entre fin 1961 et 1963, donnant naissance aux républiques actuelles de Tanzanie, du Kenya et d’Ouganda. Les Rwanda et Burundi belges deviennent respectivement indépendants en 1961 et 1962.

[1] Le traité accorde également à l’Allemagne les îles de Heligoland en mer du Nord (à l’origine rattachées au duché danois de Holstein-Gottorp, mais possession britannique depuis le traité de Kiel de 1814), ainsi que la chefferie des Fwe dans la bande de Caprivi, en Namibie. Il reconnaît aussi une sphère d’intérêts allemands dans le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie) et établit les frontières séparant le Togoland allemand de la Côte-de-l’Or britannique (Ghana) et le Kamerun allemand de la colonie britannique du Nigeria.

Photo : le lac Victoria. Crédit : Valerossi / Pixabay