La partie la plus méridionale du continent africain (en l’occurrence le cap des Aiguilles, situé au sud-est du cap de Bonne-Espérance) est formée d’un grand plateau intérieur, bordé de plaines plus moins étroites le long des côtes, d’un désert semi-aride au nord-ouest (le Kalahari, près d’un million de km² à cheval sur le Botswana, l’Afrique du sud et la Namibie) et de montagnes : les anciens volcans du Pilanesberg au nord-ouest et surtout les monts du Drakensberg, dans lesquels le fleuve Orange prend sa source. Culminant à plus de 3 480 m au Lesotho (et à 3 450 m en Afrique du sud), ils s’étendent sur environ un millier de km, du KwaZulu-Natal jusqu’à la province du Cap. Cette diversité topographique se traduit climatiquement : désertique sur la côte atlantique, le climat est méditerranéen sur les bords du cap de Bonne Espérance et tropical sur les plateaux du Nord et sur les bords de l’océan Indien.
Ayant franchi le fleuve Limpopo avant le Ve siècle EC, des populations bantoues venues du nord se dirigent vers le sud en suivant deux itinéraires principaux : les unes – dont sont issus les locuteurs des langues sotho et tswana – colonisent les savanes herbeuses du plateau s’étendant à l’ouest de la chaîne du Drakensberg ; les autres – ancêtres des Zoulous, Xhosa, Ndebele et Swazi (de langue nguni) – s’installent sur les littoraux de l’océan Indien. Comme dans l’actuelle Namibie voisine, ces peuples de cultivateurs et d’éleveurs assimilent ou repoussent les populations déjà présentes : les chasseurs-cueilleurs San (Bochimans, « hommes de la brousse », des Européens) et les éleveurs Khoï-khoï (« Hottentots »), arrivés plus tard, sont repoussés dans les régions arides de l’ouest.
Les premiers Européens à se distinguer dans la région sont les Portugais, Vasco de Gama franchissant le cap de Bonne-Espérance en 1488, pour passer dans l’océan Indien et rejoindre les Indes. Mais les premiers à s’y implanter sont les Hollandais. En 1652, leur Compagnie des Indes orientales fonde un établissement au Cap, ville la plus australe du continent africain, située à mi-chemin des Pays-Bas et de leurs colonies dans l’actuelle Indonésie. Parmi les colons (hollandais, allemands, huguenots français) figurent des burghers, propriétaires terriens qui font travailler des esclaves (importés du Mozambique ou d’Insulinde) et des trekboers (« paysans migrants ») qui, au XVIIIe siècle, avancent dans les terres jusqu’à la Fish river. Au nord-est, à la confluence du fleuve Orange et de son affluent le Vaal, ils se heurtent aux Khoï-khoï, aux Xhosa et aux « Griqua », mélange de Khoï-khoï, d’esclaves en fuite, de repris de justice, de métis… De ce mélange ethnique naît la langue afrikaans, version simplifiée et créolisée du néerlandais.
De 1779 à 1878, neuf guerres « cafres » (le nom que les Européens donnent aux Noirs, en référence à l’arabe kafir, repris en swahili, qui signifie « non musulman ») opposent les Xhosa aux Hollandais, puis à la Grande-Bretagne. Les Britanniques ont en effet posé le pied dans la région en 1795, en occupant Le Cap, escale idéale vers leur Empire des Indes. Dix-neuf ans plus tard, ils en font la colonie du Cap, dans laquelle l’esclavage est supprimé en 1833, faisant ainsi des Coloured people des hommes libres.
C’en est trop pour certains Boers qui, en 1835, entreprennent de migrer vers le nord-est. Effectué à bord de chars à bœufs, sous la direction de chefs tels que Andries Pretorius, ce « Grand Trek » les conduit à traverser le fleuve Vaal, affluent du fleuve Orange, jusqu’aux savanes herbeuses qu’ils vont appeler Veld et où ils affrontent les Ndebele. D’autres Boers – qui commencent à s’appeler eux-mêmes Afrikaners – se dirigent vers le Natal, le long de l’océan Indien. Ils s’y heurtent aux Zoulous (« le peuple du ciel »), devenus la puissance dominante de la zone, à la suite d’un processus appelé Mfecane. Cette politique d’élimination ou d’assimilation des autres peuples Nguni (Ngwane, Ndwandwe et fédération Mthethwa), a connu son apogée sous le roi Chaka, entre 1818 et 1825. A son apogée, le royaume Zoulou s’étend sur plus de 200 000 km².
Chassées de leurs terres, les autres ethnies se sont repliées comme elles le pouvaient, gênées par la présence des Boers à l’est et au sud et par l’aridité des terres à l’ouest. Les Ngoni ont pris la direction de l’actuel Malawi et les Ndebele ont fui dans le Veld, puis au-delà du Limpopo où ils fondent le royaume Matebele (en langue sotho) dans le sud de l’actuel Zimbabwe, après avoir subi une défaite face aux Boers en 1837. De leur côté, les Ndwandwe ont mis le cap au nord-est : ayant soumis les Tsonga de l’actuel Mozambique méridional, un de leurs chefs a fondé en 1824 le royaume de Gaza (du nom d’un aïeul) qui, à son apogée, s’étend sur le sud-est du Zimbabwe. Mais le royaume se déchire à la mort de son fondateur et disparait en 1895, victime des colonisateurs Portugais du Mozambique. Dans le Veld, les Tswana ont choisi de migrer vers l’ouest, à proximité du désert semi-aride du Kalahari. Les Sotho ont pris une autre option : un de leurs chefs, Moshoeshoe Ier, est parvenu à unifier plusieurs clans de son peuple et à former un royaume montagnard, le pays Basuto. A la même période, vers 1820, des clans Ngwane et Tsonga se sont réfugiés au nord du pays zoulou : ils y ont établi un État qui prend le nom de royaume Swazi, en référence au roi Mswati II qui règne au milieu du XIXe siècle.
C’est donc dans des régions du Natal partiellement vidées de leur population depuis le Mfecane, que les Boers avancent et font face aux Zoulous. Après plusieurs massacres commis à leur encontre par les soldats du roi Dingane, les colons afrikaners remportent en 1838 une bataille décisive, dite de la Blood river. Ce succès les conduit à fonder, l’année suivante, la république de Natalia, alliée au nouveau roi des Zoulous. Mais l’existence de cet État indépendant est contestée par les Britanniques du Cap qui, après avoir soumis les Xhosa, prennent en 1842 le contrôle de Port-Natal (future Durban) sur les bords de l’océan Indien. L’affrontement, inéluctable, entre les deux rivaux européens se termine par la victoire des Anglais et par la disparition de la république boer. En 1843, elle se fond dans la colonie britannique du Natal, à laquelle le roi Zoulou fait allégeance. Jugeant que la main-d’œuvre noire est inapte à exploiter la canne à sucre de la région, les planteurs anglais vont y faire venir des travailleurs originaires des Indes[1].
De leur côté, les Boers du Natal ont repris leur trek et traversé de nouveau les montagnes des Drakensberg, afin fuir la domination britannique et de s’installer dans le Veld, au-delà du fleuve Orange. Ils y constituent de grands domaines et fondent deux pays : l’État libre d’Orange et la république sud-africaine du « Transvaal« , dont la capitale est établie dans la ville nouvelle de Pretoria, baptisée en hommage au chef décédé. Au début des années 1850, Londres se résout à reconnaître leur indépendance. A l’époque, les Anglais doivent faire face à un nouveau soulèvement des Xhosa, rejoints par les supplétifs Khoï-khoï des Britanniques, mécontents de la solde qu’ils reçoivent dans l’armée de sa Gracieuse majesté. Le sort des Xhosa bascule en 1857, quand ils écoutent une prophétesse qui leur préconise de détruire bétail et récoltes, afin que les Blancs soient précipités dans la mer. Cette préconisation provoque la mort ou l’exil de plusieurs dizaines de milliers de Xhosa, dont une large partie du territoire (la « Cafrerie britannique ») est finalement annexée à la colonie du Cap dans les années 1860.
[1] Entre 1893 et 1915, les Indiens discriminés politiquement ou socialement auront pour défenseur un jeune avocat nommé Gandhi.
En 1867, la physionomie de la région est bouleversée par la découverte de diamants au pays des Griqua, au confluent du Vaal et de l’Orange. Les Britanniques annexent la région, dont la production va être quasiment monopolisée, une vingtaine d’années plus tard, par la De Beers Consolidated Mines de Cecil Rhodes. En 1886, une autre découverte bouleverse l’économie régionale : la découverte de gisements d’or au sud de Pretoria. Leur exploitation entraîne une immigration massive de Britanniques, que les Afrikaners désignent comme Uitlanders (gens de l’extérieur). Le problème, pour les colons anglais et les investisseurs, c’est que la zone est administrée par le Transvaal boer, dont le Président, Paul Kruger, est foncièrement anglophobe. Devenu Premier ministre de la colonie du Cap, Rhodes entreprend alors d’encercler la république sud-africaine par le nord : il convainc Londres d’établir un protectorat sur le pays Tswana (le Bechuanaland) en 1885 et conclut des traités avec les souverains Ndebele et Lozi régnant au nord du Limpopo. Les diverses tentatives anglaises de mettre au pas le Transvaal sont en revanche des échecs.
Ennemis irréductibles, Britanniques et Afrikaners s’entendent toutefois pour assurer la domination des Blancs sur les Noirs. En 1879, les premiers attaquent les Zoulous. D’abord battus, ils sortent finalement victorieux de la confrontation et démantèlent le royaume zoulou : le nord est attribué au Transvaal et le reste divisé en chefferies vassales (qui seront finalement rattachées à la colonie du Natal en 1897). En 1868, Londres établit un protectorat sur le pays Basuto, à la demande de son roi, pour échapper aux prétentions de l’État libre d’Orange ; le Basutoland passe finalement sous la coupe directe des Britanniques en 1884, après une révolte des Sotho. Côté afrikaner, le Transvaal soumet les Pedi (1879), puis les Venda (1898) ; de 1895 à 1902, il domine aussi le royaume Swazi.
Une fois les populations noires mises au pas, l’affrontement entre colons européens devient inéluctable. Après un premier conflit durant l’hiver 1880-1881, la seconde « guerre des Boers » éclate à l’automne 1899. Dans un premier temps, elle est favorable aux Afrikaners, mais l’envoi de renforts britanniques renverse la situation. Les troupes de Londres s’emparent de Bloemfontein, Johannesburg et Pretoria ; à Mafeking, le siège de la ville est brisé par un officier nommé Baden-Powell, qui utilise les jeunes habitants comme éclaireurs et messagers, prélude à la fondation du scoutisme. Finalement, les Britanniques annexent les deux républiques en décembre 1900 et les transforment en colonies. Mais les Boers ne désarment pas et se livrent à des opérations de guérilla. A la tête de 450 000 hommes (cinq fois plus que ses adversaires), le général Kitchener – qui s’est déjà illustré contre la révolte mahdiste au Soudan – reprend la situation en main, d’une façon extrêmement radicale : des milliers de fermes et une quarantaine de petites villes sont totalement détruites et 230 000 personnes, femmes, enfants et vieillards, envoyées en camps de concentration ou déportées (la moitié d’Afrikaners et l’autre moitié de Noirs). Coupés de leurs relais dans les campagnes, les derniers commandos boers déposent les armes en mai 1902. Le conflit a fait 75 000 morts : 50 000 civils victimes de la faim et des maladies dans les camps, 4 000 combattants afrikaners et 22 000 soldats britanniques, dont 14 000 morts de maladie. La mauvaise condition physique des troupes de Londres, due à la sous-alimentation chronique dans la classe ouvrière, aura une conséquence pratique : l’introduction de repas gratuits dans les écoles britanniques.
Arrivés au pouvoir à Londres, les libéraux mettent en œuvre la création d’une fédération d’Afrique du sud, sur le modèle de celle instituée au Canada. Associant les colonies du Cap, du Natal, d’Orange et du Transvaal, l’Union sud-africaine voit le jour en 1910. Seuls les Blancs y disposent du droit de vote, sauf au Cap, où les Coloured people sont autorisés à voter depuis 1872 (dans le cadre d’un scrutin censitaire, ce qui diminue leur poids électoral). En revanche, le nouvel État n’incorpore ni le Bechuanaland, ni le Basutoland (pourtant totalement enclavé, mais dépourvu d’or et de diamants), ni le Swaziland passé sous domination britannique en 1903, après la deuxième Guerre des boers. Tous demeurent des protectorats ou colonies jusqu’à leur indépendance, sous les noms respectifs de Botswana et Lesotho en 1966 et de Swaziland ou Ngwane en 1968 (devenu Eswatini en 2018).