ASIE, Asie centrale

Ouzbékistan

Autocratique depuis l’indépendance, le régime essaie de trouver les meilleures alliances pour contenir l’islamisme.

447 400 km2

République autoritaire

Capitale : Tachkent

Monnaie : le s(o)um

31 millions d’Ouzbeks

Seul pays au monde (avec le Liechtenstein) a être doublement enclavé, c’est-à-dire entouré de pays eux-mêmes dépourvus d’accès à la mer, l’Ouzbékistan s’étend sur 1 425 kilomètres d’ouest en est et 930 kilomètres du nord au sud. Il partage un peu plus de 6 200 kilomètres de frontières avec cinq pays : le Turkménistan (un peu plus de 1 600 km) au sud-ouest, le Kazakhstan (un peu plus de 2 200 km) au nord, le Tadjikistan (1 160 km) et le Kirghizistan (1 100 km) à l’est, l’Afghanistan (moins de 140 km) au sud. Seules 10 % des terres d’Ouzbékistan se prêtent à l’agriculture, la plus grande partie du pays étant désertique, avec le Kyzylkoum (« sable rouge ») sur une grande partie de l’ouest et le Karakoum (« sable noir ») au sud-ouest. Au nord-est et au sud s’étendent les chaînes de Tian Shan et de Hissar-Alaï, dont les sommets culminent à plus de 4 300 m.

Le pays est traversé par deux fleuves majeurs, l’Amou-Daria et le Syr-Daria. Tous deux se jettent dans la mer d’Aral (« mer des îles » en kirghiz), que l’Ouzbékistan partage avec le Kazakhstan : l’Amou-Daria dans la partie sous souveraineté ouzbèke, au sud, et le Syr-Daria dans la partie orientale, sous souveraineté kazakhe. Dans la réalité, les deux cours d’eau se déversent de moins en moins dans cette étendue d’eau salée (cf. Encadré dans Kazakhstan). Le climat est de type continental, relativement froid en hiver et très chaud l’été.

80 % de la population est d’ethnie ouzbèke. Plus de 10 % des habitants parlent une autre langue turque (Kazakhs 4 %, Tatars 4 %, Karakalpaks 2 %, Kirghiz, Meskhets). Le reste du peuplement est constitué de Russes (6 %), de Tadjiks (plus de 5 %), de Coréens (1 %). La majeure partie des Karakalpaks (« chapeaux noirs ») peuple la république autonome du Karakalpakstan (capitale Nukus) qui occupe 40 % du territoire de l’Ouzbékistan, au nord-ouest, mais ne représente que 6 % de sa population.

95 % des habitants sont musulmans (94 % de sunnites) et 4 % orthodoxes, les autres professant d’autres confessions (christianisme, judaïsme, zoroastrisme).

Samarcande. Crédit : LoggaWiggler / Pixabay

Ancien Premier secrétaire du PC ouzbek, Islam Karimov est élu Président de la République indépendante d’Ouzbékistan en décembre 1991, avec 86 % des voix. Théoricien farouche de l’indépendance du pays (Mustaqillik), il prend d’emblée deux directions : se rapprocher des États-Unis, afin de contrebalancer l’influence russe, et faire taire toute forme d’opposition . Les médias sont muselés et les opposants, démocrates ou nationalistes, condamnés pour « hooliganisme » ou bien tués par des « inconnus ». Bien qu’ayant prêté serment sur le Coran lors de son investiture, Karimov n’épargne pas l’opposition musulmane, représentée principalement par le Hizb-ut-Tahrir al-Islami (Parti de la renaissance islamique), une organisation pacifiste, mais transnationale[1], qui revendique l’instauration d’un Califat sur l’ensemble du « Turkestan ».

Du coup, le pouvoir va se trouver confronté à l’islamisme radical. Fin 1997, le chef de la police et plusieurs officiers sont assassinés à Namangan, sur la bordure nord de la vallée de Ferghana, région chroniquement sous-représentée dans la gouvernance du pays et terreau de longue date du fondamentalisme musulman (cf. L’imbroglio ethnique du Ferghana). Bien que potentiellement liés à des règlements de comptes, ces meurtres sont revendiqués par le nouveau Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO) : il a été fondé par un ancien parachutiste de l’armée soviétique en Afghanistan qui, après fait le « coup de feu » aux côtés des rebelles islamistes au Tadjikistan, est rentré dans son pays pour créer une véritable opposition islamique à Karimov, après que ses protecteurs ont rejoint le gouvernement d’union nationale tadjik. Le gouvernement ouzbek prend des mesures de rétorsion dès l’année suivante, en imposant l’enregistrement de toutes les mosquées et de toutes les grandes organisations religieuses : des centaines de lieux de culte musulmans sont fermés dans la partie ouzbèke du Ferghana, des dizaines de religieux disparaissent et des rafles de barbus sont régulièrement organisées pour les raser séance tenante. Des milliers d’arrestations ont lieu, sous les prétextes parfois les plus fallacieux : le simple fait d’avoir été à l’école avec un leader islamiste peut suffire à être arrêté ; dans certains cas, de la drogue ou des munitions sont cachées sur les « suspects »… à tel point que les hommes de la région finissent par se promener avec des vêtements sans poche. En parallèle, le pouvoir se livre à des purges dans la plus pure tradition soviétique parmi les responsables politico-administratifs du pays, y compris parmi ceux originaires de Samarcande, pourtant le fief de Karimov.

En 1999, les islamistes frappent de nouveau. En février, cinq attentats à la bombe – parfaitement coordonnés – font une quinzaine de morts dans la capitale ouzbèke : ils surviennent après la condamnation à la prison de partisans de la création d’un État islamique dans le pays. En août suivant, un millier de combattants du MIO passent du Tadjikistan au sud du Kirghizstan, où ils s’emparent de villages, dans la région majoritairement ouzbèke de Batken, et où ils prennent des otages. Redoutant que l’incursion ne se prolonge sur son territoire, le gouvernement de Tachkent fait intervenir son aviation et bombarder les lieux. Dans la foulée, il opère un rapprochement avec Moscou, qui l’aide à renforcer sa défense aérienne. En juillet 2000, Karimov annule même une rencontre avec le Secrétaire général de l’OTAN pour assister, en observateur, à la réunion du « groupe de Shanghai » qui se tient au Tadjikistan, en vue de coordonner l’action des pays de la région[2] contre le « péril islamiste ». Le mois d’après, les troupes ouzbèkes, tadjikes et kirghizes sont dans le vif du sujet, puisqu’elles doivent faire face à une offensive généralisée de commandos du MIO venus d’Afghanistan, avec le projet d’établir des bases dans une zone peu peuplée du sud-est de l’Ouzbékistan.

Ayant adhéré à l’Organisation de coopération de Shanghai, mais restant circonspect sur son efficacité, le régime de Karimov signe un accord avec les États-Unis, en octobre 2001, alors que la guerre fait rage en Afghanistan : le texte inclut des contacts urgents entre les deux pays « dans l’éventualité d’une menace directe pour la sécurité ou l’intégrité territoriale de la République d’Ouzbékistan » ; c’est dans ce cadre que les Américains récupèrent l’ancienne base soviétique de Karchi, au sud-est du pays. Le pouvoir de Tachkent sait en effet que le MIO bénéficie de l’appui des talibans afghans, mais sans doute aussi de l’Iran et de la Russie qui jugent Karimov trop proche des Américains. C’est d’ailleurs avec la bienveillance de Moscou que le Tadjikistan abrite les combattants du MIO, tandis qu’en sens inverse l’Ouzbékistan soutient plusieurs rébellions sur le sol tadjik (cf. ce pays). Tirant profit, comme beaucoup d’acteurs de la région (garde-frontières russes compris), de différents trafics tels celui de l’héroïne afghane, le MIO est en effet devenu un mouvement puissant, regroupant des combattants de toute la zone et même des Tchétchènes du Caucase. Les Ouzbeks, y compris ceux du Kirghizstan et du Tadjikistan, vont constituer le plus important contingent d’Asie centrale au sein des mouvements djihadistes actifs en Irak et en Syrie.


En janvier 2002, le Président ouzbek obtient la prolongation de son mandat de cinq à sept ans, au cours d’un référendum dont les résultats (90 % de oui) sont jugés douteux par les Occidentaux, au même titre que les législatives qui se tiennent fin 2004 ; tous les partis autorisés sont proches du pouvoir. En mars précédent, un arrêt de bus et un marché de Tachkent ont été victimes de deux attentats meurtriers, commis par des femmes kamikazes. En mai 2005, les revendications islamistes se doublent de considérations sociales dans la vallée du Ferghana : tandis que, armes à la main, des insurgés libèrent de prison des centaines de détenus (dont des petits entrepreneurs condamnés pour appartenance à un mouvement musulman d’entraide considéré comme proche du Hizb ut-Tahrir), des milliers de manifestants défilent dans les rues pour en appeler à la justice, à la liberté et à la privatisation des terres, le pays n’ayant pas encore totalement rompu avec le système des kolkhozes. En guise de réponse, le régime envoie blindés et armes lourdes : la répression fait entre cinq cents et un millier de morts, dont les trois quarts dans la seule ville d’Andijan.

Au terme d’un procès très « soviétique », avec « confession » publique des accusés, les « meneurs » de la révolte sont condamnés à des peines de douze à vingt-deux ans de prison tandis que, sur le plan diplomatique, le régime rompt avec l’Occident qui demandait une enquête internationale sur les tueries. Après avoir quitté le GUAM, organisation regroupant les pays de l’ex-URSS les plus proches de l’Union européenne et des États-Unis (cf. Fédération de Russie), Karimov signe en novembre 2005, un traité stratégique avec la Russie : l’accord stipule qu’une agression contre un des deux pays signataires serait considérée comme une agression contre l’autre. Par ricochet, les Américains se voient enjoindre d’évacuer la base de Karchi. Pour autant, le régime reste soucieux de maintenir un équilibre dans ses relations internationales et entretient des relations économiques aussi bien avec les Russes qu’avec les Chinois, les Indiens et même les Occidentaux.

Les contacts restent en revanche compliqués avec les voisins d’Asie centrale, Kirghizstan et Tadjikistan, qui comptent de fortes minorités ouzbèkes, parfois persécutées (cf. les pogroms commis à leur égard en 2010 au Kirghizstan) et contrôlent la majeure partie des ressources en eau du pays.

Sur le plan intérieur, le pouvoir ne change rien à sa politique de répression politico-religieuse (plus de dix mille détenus à ce titre), mais il essaie de tirer des enseignements des événements d’Andijan et de promouvoir un islam national, incluant la formation de cadres et la construction de lieux de culte. Il s’efforce aussi de privatiser les terres et de favoriser la liberté d’entreprendre qui, en pratique, se heurte au très haut niveau de corruption régnant dans le pays et à la répartition clanique des richesses nationales. Personne n’est épargné par cette lutte pour le pouvoir économique : en 2014, la propre fille de Karimov, femme d’affaires et femme politique, est placée en résidence surveillée et ses avoirs confisqués.

Dans le désert du Kyzylkoum. Crédit : Jackmac34 / Pixabay

En mars 2015, Karimov est réélu avec plus de 90 % des voix, face à trois candidats dont les partis avaient appelé à la réélection du sortant. Il entame ainsi un quatrième mandat, alors que la Constitution les limite à deux. Mais cette disposition n’ayant été adoptée en 2002, la Commission électorale considère que le chef de l’État ne fait que commencer son second mandat depuis cette date. Mandat qu’il ne mènera pas à son terme : Karimov meurt en septembre 2016. Promu Président par intérim, son Premier ministre Shavkat Mirzioïev est formellement élu à la tête de l’État trois mois plus tard, avec près de 89 % des voix.

En août 2021, bien qu’ayant suspendu en 2012 sa participation à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) pilotée par Moscou, l’Ouzbékistan envoie des troupes participer à des manœuvres à la frontière du Tadjikistan et de l’Afghanistan, sur laquelle plane la menace des talibans afghans et de leurs alliés islamistes d’Asie centrale. Face à ce péril, le régime assouplit sa position vis-à-vis de l’intégrisme musulman, libérant des prisonniers et autorisant le port du voile dans les lieux publics. En octobre, Mirzioïev est réélu avec plus de 80 % des voix, au prix de nombreuses irrégularités alors que, pourtant, aucun opposant réel ne se présentait. En mars 2022, Tachkent marque ses distances avec la Russie, dont elle dépend pourtant fortement sur le plan économique, et se rapproche du même coup de la Turquie : refusant de reconnaître les républiques séparatistes du bassin ukrainien du Donbass, elle refuse les renforts que lui demande Moscou pour aller combattre en Ukraine.

En juillet, l’état d’urgence est proclamé dans la république autonome du Karakalpakstan, à la suite de manifestations violentes contre un projet visant à supprimer son droit à l’autodétermination. Située au sud de la mer d’Aral, la région souffre d’un fort retard de développement, ainsi que de la sécheresse et de pollutions aux pesticides générées par la surexploitation du coton durant l’époque soviétique. Sa population s’inquiète aussi de voir son environnement encore plus dégradé par l’exploitation envisagée d’uranium et d’hydrocarbures. La répression des manifestations dans la capitale, Nukus, ayant fait une vingtaine de morts, le Président annonce le retrait de l’amendement controversé.

En janvier 2023, le pouvoir limoge le maire de Tachkent ainsi que plusieurs autres dirigeants jugés responsables de la mauvaise gestion énergétique du pays : bien que figurant parmi les principaux producteurs mondiaux de gaz, l’Ouzbékistan connait des coupures régulières d’électricité et de gaz et a dû signer un accord d’importation avec le Turkménistan. Sans surprise, la vaste révision constitutionnelle proposée par le régime est adoptée, en mai suivant, par plus de 90 % des votants (référendum suivi par plus de 84 % des électeurs). Modifiant les deux tiers des articles, elle introduit quelques mesures libérales – telles que la suppression de la peine de mort, ainsi que la gratuité des soins et de l’éducation – mais surtout elle accroît les pouvoirs présidentiels : le quinquennat se transforme en septennat et les compteurs sont remis à zéro, de sorte que Mirzioïev, âgé de 65 ans, pourrait se maintenir à la tête de l’État jusqu’en 2040. Le référendum à peine fini, il convoque une présidentielle anticipée qu’il remporte, au mois de juillet, avec plus de 87 % des voix et une participation proche de 80%.

[1] Né d’une scission des Frères musulmans en 1952 en Jordanie, le Hizb ut-Tahrir est surtout actif en Asie centrale.

[2] Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan.

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