Kazakhstan

Kazakhstan

Le plus vaste des pays d’Asie centrale essaie de trouver sa voie entre l’ancienne tutelle russe et la nouvelle puissance chinoise.

2 724 910 km²

République autoritaire

Capitale : Astana[1]

Monnaie : le teng(u)e

18 millions de Kazakhstanais

[1] La plus grande ville est Almaty.

Bordé par près de 1 900 km de côtes sur la mer Caspienne au nord-ouest, le Kazakhstan présente la particularité d’être situé sur deux continents, sa partie la plus occidentale – très peu peuplée – étant située en deçà de la chaîne de l’Oural, donc géographiquement en Europe. Le pays possède plus de 12 000 km de frontières partagées avec la Russie (plus de 6 800 km, une des plus longues du monde) au nord, la Chine (plus de 1 500 km) à l’est, le Kirghizstan (plus de 1 050 km) et l’Ouzbékistan (plus de 2 200 km) au sud et le Turkménistan (un peu moins de 380 km) au sud-ouest.

Il s’étend sur 3 000 kilomètres d’est en ouest – entre le massif de l’Altaï et les rives de la Caspienne – et 1 600 kilomètres du nord au sud, entre la Sibérie méridionale et les montagnes du Tian-shan et oasis du Turkestan. Tout le centre est constitué de déserts continentaux froids (tels que le Kyzyl-Koum, « sable rouge » en ouzbek, au sud) et de steppes (Betpak-Dala, « la steppe de la faim » au nord) traversées de fleuves marqués par l’endoréisme : l’Ili se jette dans le lac Balkhach (18 200 km²) au sud-est et l’Oural dans la Caspienne. Au centre, le Syr-Daria se jette dans la mer d’Aral.

Du fait des prélèvements massifs effectués pour l'irrigation des cultures de coton, le volume et la superficie de la mer d'Aral ("mer des îles" en kirghiz) ont diminué de 90 % depuis les années 1960 et le lac s'est subdivisé en plusieurs formations aquatiques distinctes et de plus en plus réduites, au point que le nouveau désert d'Aralkoum s'est formé, côté ouzbek, aux abords du bassin est, devenu un lac intermittent. Seule la partie septentrionale, ou Petite mer d'Aral (3 300 km²) située côté kazakh, échappe à cet assèchement, grâce à la digue qui la sépare du reste de l'étendue lacustre.
L'état environnemental du lac et des terres salines qui l'entourent est aggravé par les traces des armes biologiques que les Soviétiques y ont testées pendant la guerre froide et par les centaines de tonnes de bacilles de charbon (anthrax) qu'ils ont enfouies dans l'île principale, au cours des années 1980.

L’altitude des massifs qui dominent les plaines et les plateaux du bouclier kazakh n’excède pas 1 600 mètres. En revanche, le sud-est est couvert de hautes montagnes : les Tian shan (où se situe le point culminant du pays, le Khan Tengri à près de 7 000 m), l’Alatau de Dzoungarie, le Tarbagataï et l’Altaï. Le climat du Kazakhstan est continental, alternant étés torrides et hivers rigoureux.

La densité humaine ne dépassant pas 0,1 habitant au km² dans les immenses zones de déserts et de steppes, l’essentiel du peuplement se concentre en deux endroits : les régions septentrionales, drainées par l’Irtych et ses affluents arrivant de l’océan glacial Arctique, où se situe Astana ; les oasis et piémonts méridionaux, où se trouve la plus grande ville et ancienne capitale du pays, Almaty (ex-Alma-Ata).

69 % des Kazakhstanais sont d’ethnie kazakhe et 19 % d’ethnie russe (essentiellement au nord). Le reste de la population se répartit entre Ouzbeks (3%), Ukrainiens, Ouïghours, Tatars, Allemands (un peu plus de 1 % chacun), Meskhets…  

70 % des habitants sont de confession musulmane (sunnite) et 26 % chrétiens (dont 24 % d’orthodoxes).

Malgré la dislocation de l’URSS, la Russie est parvenue à conserver les 6 700 km² du cosmodrome de Baïkonour qu’elle loue jusqu’en 2050, au centre du pays ; elle co-administre aussi la ville homonyme voisine.


Devenu premier secrétaire du PC kazakh en 1989 – il est alors proche du Président soviétique Gorbatchev – l’économiste Noursoultan Nazarbaïev est élu Président du nouvel Etat en décembre 1991, avec près de 99 % des suffrages. Le même mois, il signe le décret mettant fin à l’Union soviétique et instituant la Communauté des États indépendants. Toujours proche de Moscou[1], Nazarbaïev met d’emblée en œuvre une politique qui mêle valeurs nationalistes kazakhes et respect de la population slave locale : adoptée en 1995 par référendum, la Constitution interdit toute discrimination fondée sur des critères ethniques, religieux ou de langue maternelle ; si l’enseignement en kazakh est largement développé, en particulier dans l’administration, le russe n’en conserve pas moins le statut de langue officielle.

En effet, l’ethnie locale n’est pas majoritaire quand le pays accède à l’indépendance. Les Kazakhs ne représentent que 40 % de la population au recensement de 1989, à la suite des multiples décisions prises à l’époque soviétique : d’un côté les famines et l’exode, de l’autre une politique active d’immigration ; après avoir dû accueillir en masse les peuples « punis » par Staline dans les années 1930-1940, le Kazakhstan a vu arriver les deux décennies suivantes de très nombreux immigrants, destinés à mettre en valeur ses terres vierges et ses gisements miniers. La proportion des Kazakhs remonte durant les premières années d’indépendance, marquées par l’émigration de trois millions de personnes, principalement des Russes, des Ukrainiens et des Allemands : de 1989 à 1999, la population générale baisse ainsi de 8 %. Mais elle remonte depuis 2003, avec le retour au pays d’un million « d’Oralmans », des Kazakhs qui résidaient jusqu’alors en Ouzbékistan, en Chine, en Russie ou encore en Mongolie. S’y ajoute l’arrivée de migrants venus d’Asie centrale, attirés par l’essor économique d’un pays qui possède de confortables ressources en pétrole, uranium, terres rares et minerais divers.

L’essentiel du peuplement continuant à se trouver dans le nord, le pouvoir y inaugure une nouvelle capitale, fin 1997 : située à mille kilomètres de la précédente, la très méridionale Almaty, Astana est bâtie sur l’emplacement d’un ancien fortin de Cosaques qui, sous le nom de Tselinograd, était devenu le centre de la campagne khrouchtchévienne de conquête agricole des steppes vierges. Le choix de cette ville apparaît surprenant, alors que Nazarbaïev venait de se faire livrer un somptueux palais à Almaty : proche de la frontière avec la Russie, Astana est peuplée majoritairement de Russes paupérisés, dont certains anciens du goulag trop pauvres pour retourner dans leur pays d’origine. Mais le choix du Président est parfaitement conscient :  en faisant venir des milliers de fonctionnaires kazakhs dans la partie la plus industrialisée et la plus riche du pays, il y réduit de facto la part des russophones. Il transcende aussi les divisions traditionnelles de la société kazakhe héritée de ses trois « hordes » historiques : la « grande » majoritaire au sud, la « moyenne » plus au nord et la « petite » implantée dans l’ouest pétrolifère. Les sociétés étrangères, attirées par les perspectives pétrolières du pays, ont d’ailleurs été priées de participer à l’érection de la nouvelle capitale.

L’exercice du pouvoir de Nazarbaïev est d’abord marqué par un relatif pluralisme : des partis d’opposition sont représentés au Parlement – dont le rôle est suffisamment puissant pour qu’il contraigne un Premier ministre à démissionner en 1994 – et des syndicats, parfaitement reconnus, peuvent appeler à de grandes manifestations, par exemple en janvier 1995. Mais le régime prend une tournure autoritaire à partir de 1995. Réélu par référendum, avec plus de 95 % des voix, le Président en organise un autre qui renforce ses pouvoirs et instaure un système bicaméral, avec un Sénat élu par les représentants des régions que contrôle l’exécutif.

En janvier 1999, Nazarbaïev est réélu avec près de 82 % face à deux « comparses », le chef du PC et celui des douanes. Au préalable, il avait écarté un ancien Premier ministre, dont la popularité devenait gênante : accusé d’avoir créé un mouvement prônant des élections honnêtes, Kajegueldin n’est pas autorisé à concourir. Ayant senti monter cette menace, ainsi qu’une dégradation économique due à la chute des prix du pétrole et des matières premières exportées, le Président a décidé d’avancer le scrutin de deux ans. Il a également obtenu du Parlement qu’il vote divers aménagements constitutionnels à son profit : ainsi, il devient possible d’effectuer plus de deux mandats présidentiels, y compris au-delà de soixante-cinq ans. L’accaparement du pouvoir économique par le clan présidentiel est tel que, la même année 1999, paraît un décret punissant de « lourdes sanctions », « la publication de toute information portant sur le Président et sa famille, sur leurs intérêts économiques et leurs investissements » – sous-entendu des pots-de-vin [2] – ces informations relevant de « secrets d’État ».

En décembre 2005, Nazarbaïev est réélu avec plus de 91 % des voix, à la suite d’une élection non démocratique selon les observateurs de l’OSCE et après le « suicide » d’un de ses concurrents, un ancien ministre retrouvé avec une balle dans le dos et une dans la tête. Mi-février 2006, c’est un autre ancien ministre et ancien ambassadeur en Russie, devenu un des leaders de l’opposition, qui est retrouvé mort au bord d’une route, le corps criblé de balles, comme ceux de son chauffeur et de son garde du corps. L’opposition soupçonne la fille du Président et son mari, mais l’enquête ne condamne à la prison que des comparses, des membres des services de sécurité ayant avoué avoir participé à l’enlèvement de l’homme assassiné. En 2010, la Chambre basse – toujours élue selon des standards jugés non démocratiques par l’OSCE – proclame Nazarbaïev « Père de la Nation » ce qui lui permet, notamment, de bénéficier d’une totale immunité judiciaire jusqu’à la fin de sa vie et d’amplifier son culte de la personnalité : de nombreuses statues sont érigées à son effigie et de nombreux lieux baptisés de son nom. Omnipotent, le Président nomme les principaux juges, les gouverneurs de région et les maires des deux plus grandes villes. En avril suivant, il est réélu avec un score encore en progression (plus de 95 % des voix) : même ses trois adversaires, dont un « écologiste », affirment avoir voté pour lui, ayant sans doute tiré les enseignements du scrutin de 2005. Entretemps, la mainmise du clan présidentiel sur l’économie s’est matérialisée sous la forme d’une holding d’État présente dans l’énergie, les médias, le transport ou encore la banque.

En 2010, le pays renforce ses liens avec Moscou, en adhérant à l’union douanière formée par la Russie avec la Biélorussie, tout en profitant de sa proximité territoriale avec la Chine pour exporter son pétrole et son gaz via des conduites traversant le territoire chinois (cf. Asie centrale, d’une dépendance à l’autre). Fin 2011, un mouvement social sans précédent éclate à Janaozen, dans l’ouest pétrolier : la répression d’une émeute d’ouvriers protestant contre la dégradation de leurs salaires fait plusieurs morts. Les manifestations gagnant Aktau, la capitale régionale, Nazarbaïev démet le gouverneur local et même son propre beau-fils, qui dirigeait jusqu’alors le Fonds auquel appartient la compagnie pétrolière kazakh. Il convoque également des législatives anticipées qui marquent une très légère ouverture avec l’entrée au Majlis de deux nouvelles formations, néanmoins proches du régime : à l’exception d’un seul, les partis d’opposition n’avaient pas été autorisés à concourir.


La fin agitée des années Nazarbaïev

Encore « triomphalement » réélu en 2015 (avec près de 98 % des voix), le « Père de la Nation » (Elbasy) abandonne pourtant le pouvoir en mars 2019, sans doute instruit par la fragilisation connue par le clan Karimov en Ouzbékistan, après la mort subite de son chef. Âgé de 78 ans, Nazarbaïev cède les rênes de l’Etat au Président de la Chambre haute du Parlement, dont le poste est repris par sa fille, Dariga Nazarbaïeva ; en réalité, le sortant ne se retire pas tout-à-fait puisqu’il reste Président, à vie, du Conseil de sécurité nationale, l’organe de gouvernance majeur du pays depuis 2018. Dans la foulée, la capitale Astana est rebaptisée Noursoultan (« sultan de lumière »), en référence au prénom de l’autocrate démissionnaire.

Le nouveau Président Tokaïev est formellement élu, en juin suivant, avec près de 71 % des voix, sans la moindre évolution en termes de démocratie : le scrutin est en effet précédé par l’arrestation de centaines de manifestants. En janvier 2021, les législatives se déroulent sans partis d’opposition, toujours divisés et interdits de participation : le seul autorisé à concourir y a renoncé. En pratique, la contestation du régime reste faible : elle prend occasionnellement la forme de mouvements sociaux (en avril 2019 contre des projets chinois, dans plusieurs villes du pays) ou d’actions islamistes ; en juin 2016, une vingtaine de partisans de l’État islamique attaquent des armureries et une installation de la Garde nationale à Aktioubé au nord-ouest (une vingtaine de morts) et le mois suivant des policiers sont victimes d’attaques commises par un duo contre la police et les services secrets à Almaty. Mais ces actions sont rares et sans commune mesure avec la situation régnant dans certaines autres Républiques musulmanes de l’ex-URSS.

Début 2022, d’imposantes manifestations éclatent, comme dix ans plus tôt, dans l’ouest pétrolier, après la libéralisation des prix des carburants automobiles. Malgré la démission du gouvernement, puis la mise à l’écart de Nazarbaïev et de ses fidèles à la tête du Conseil de sécurité, la contestation gagne l’ensemble du pays, en particulier Almaty : accompagnés de pillages commis par des groupes visiblement bien organisés, les affrontements font plus de deux cents morts, y compris parmi les forces de l’ordre, le pouvoir autorisant les tirs à balles réelles sans sommation. La tension devient telle que le régime doit faire appel à l’organisation de sécurité collective (OTSC) pilotée par Moscou, alors qu’il essayait depuis des années de se tenir à distance raisonnable de son ancien parrain russe : reconduction du bail de la base spatiale de Baïkonour d’un côté, remplacement du cyrillique par l’alphabet latin de l’autre. En parallèle, le pays avait commencé à diversifier son économie dans la finance (à l’image des pétromonarchies du Golfe arabo-persique) et à nouer de nouvelles coopérations civiles et militaires : avec la Chine (qui achète la moitié de son uranium et lorgne sur ses terres rares), les États-Unis et la Turquie. En réponse à la sollicitation du régime kazakh, l’OTSC déploie plusieurs centaines d’hommes, essentiellement russes, afin de sécuriser les grandes infrastructures du pays. C’est sa première intervention depuis sa création, de surcroit dans une affaire intérieure : officiellement, le mouvement est présenté comme une opération terroriste résultant « d’ingérences extérieures », mais il apparait plutôt comme une tentative de coup d’État fomenté par une partie du clan Nazarbaïev, dont Almaty est le fief. N’ayant pas réussi à faire démissionner Tokaïev, les proches de l’ancien homme fort – qui contrôlent de nombreux secteurs économiques, dont celui de l’énergie – auraient délibérément augmenté les prix des carburants, après quoi le chef des services de sécurité nationale aurait poussé des gangs mafieux et des extrémistes religieux à se mêler aux manifestants, tout en bénéficiant de la passivité d’une partie de la police et de l’armée.


La reprise en main de Tokaïev

Le calme revenu, après un « janvier sanglant » ayant provoqué la mort de plus de deux cent trente personnes, le chef de l’État procède à des purges dans les milieux économiques et sécuritaires détenus par les proches du « Père de la nation », lequel prend officiellement sa retraite. En juin, une révision constitutionnelle, approuvée par 77 % des votants, modifie environ un tiers des articles de la loi fondamentale : Nazarbaïev perd son titre et son statut d’« Elbasy » et les proches des dirigeants se voient interdire l’exercice de fonctions gouvernementales majeures. Le dernier coup à son culte de la personnalité lui est porté en septembre, quand Tokaïev débaptise la capitale pour lui redonner le nom d’Astana.

Malgré le soutien que lui apporté Moscou, le pouvoir kazakh refuse les renforts que le régime russe lui demande d’envoyer pour soutenir son invasion de l’Ukraine, arguant que l’OTSC est une alliance à vocation uniquement défensive. En mai 2022, le Président annule, pour la première fois, la parade militaire célébrant la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie en 1945. Au lieu d’aller à Moscou, le numéro un kazakh se rend en Turquie pour y signer divers accords économiques, tels que la construction d’une usine de fabrication de drones et la création de corridors logistiques permettant de contourner le territoire russe. Tokaïev relance d’ailleurs l’idée d’un oléoduc transcaspien destiné à exporter le pétrole kazakh vers l’Europe, sans passer par la Russie.

En novembre, quelques jours après l’arrestation de comploteurs présumés, le Président remporte des élections anticipées, destinées à renforcer son pouvoir, avec plus de 81 % des suffrages ; aucun des cinq « faire-valoir » qui lui étaient opposés ne dépasse 3,5 %. Fortement conseillée par certains employeurs, la participation dépasse les 69 %. En janvier 2023, le chef de l’Etat dissout la Chambre basse du Parlement et convoque des législatives anticipées pour mars suivant. Pour la première fois depuis 2004, des indépendants sont autorisés à briguer un peu moins d’un tiers des sièges mais, dans la pratique, beaucoup de candidatures sont empêchées sous des motifs divers et la plupart des formations d’opposition interdites de concourir. Largement boudé par les électeurs (25 % de participation à Almaty), le scrutin est remporté sans surprise par le parti présidentiel Amanat : avec près de 54 % des voix, il devance de très loin ses suivants, d’ailleurs tous plus ou moins liés au pouvoir.

[1] En mai 1992 est signé un traité « d’amitié, de coopération et de bon voisinage », par lequel le Kazakhstan s’engage notamment à ne plus disposer d’armes stratégiques. En octobre 1998, les deux pays s’accordent sur la délimitation de leur frontière et sur la location par la Russie du cosmodrome de Baïkonour.

[2] En 2007, la justice suisse décide que 84 millions de dollars, issus de dessous-de-table pétroliers effectués au profit du clan Nazarbaev et bloqués sur des comptes helvétiques depuis 1999, seront rendus aux Kazakhs, sous la forme de programmes d’aides aux enfants pilotés par la Banque mondiale.