Les guérillas sans fin de la République démocratique du Congo

Les guérillas sans fin de la République démocratique du Congo

Depuis l’indépendance de la RDC, son flanc oriental est en proie à des rébellions sanglantes, attisées par ses voisins.

2 344 858 km²[1]

République

Capitale : Kinshasa

Monnaie : franc congolais

115 millions de Congolais

[1]2ème superficie d’Afrique, après l’Algérie.

Traversé par le fleuve de 4 700 km qui lui donne son nom (de même qu’à la république du Congo-Brazzaville[1]), le pays possède une façade maritime de 37 km, au débouché du fleuve sur l’Atlantique. Au nord de ce corridor se situe l’enclave de Cabinda, dépendant de l’Angola avec lequel la RDC partage aussi plus de 2400 km de frontière terrestre au Sud. Situé de part et d’autre de l’équateur, le pays compte huit autres voisins : la Zambie

(plus de 2300 km de frontière) au sud ; le Congo-Brazzaville (près de 1780 km) à l’ouest ; la Centrafrique (près de 1750 km) et le Sud-Soudan (plus de 700 km) au nord ; l’Ouganda (près de 880 km), le Rwanda (dont il est séparé par les monts Virunga et le lac Kivu sur 221 km), le Burundi (près de 240 km) et la Tanzanie (près de 480 km) à l’est.

[1] Située sur la rive droite du fleuve, Brazzaville (capitale de la République populaire du Congo) fait face à Kinshasa, située sur la rive gauche.

Un tiers du territoire, au centre du pays, est constitué par le bassin fluvial du Congo (4 700 km de long), qui prend sa source au Katanga. D’une altitude comprise entre 300 et 500 mètres, cette cuvette alluviale est composée de forêts équatoriales et de marais. Une pente régulière mène vers des plateaux couverts de savane à l’ouest et des plateaux parsemés de vallées profondes (de l’Oubangui ou de l’Uele) à l’est et au nord. À la frontière orientale, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les grands rifts occupés par les lacs Tanganyika, Kivu, Édouard et Albert sont dominés par des môles granitiques (Rwenzori, à près de 5110 mètres) et des formations volcaniques encore actives comme la chaîne des Virunga, culminant à plus de 4 500 m. Elle est traversée par la frontière avec le Rwanda qui descend ensuite vers le sud : passant juste à l’est de la ville de Goma, elle traverse le lac Kivu dans toute sa longueur, passe à l’est de Bukavu et rejoint la frontière entre la RDC et le Burundi. Au sud-est s’étendent de hauts plateaux (tel celui du Katanga), des massifs aux sommets aplanis et des fossés d’effondrement.

Le climat est tropical : chaud et humide dans le bassin du fleuve Congo, il est plus tempéré sur les sommets de l’est et du sud.

La RDC compte plus de deux cents groupes ethniques, dont plus de cent cinquante sont de langue bantoue. C’est le cas des Luba ou Baluba (18 %) dans le sud-ouest, des Kongo (15 %) à l’ouest, des Mongo (13 %) dans la cuvette, des Nande (10 %)… S’y ajoutent des populations de langues adawama-oubanguiennes dans le nord (comme les Zandé, 8 % et les Ngbandi) et nilo-sahariennes (comme les Lendu et les Hema) dans le nord-est, familles linguistiques qu’on retrouve dans les pays voisins (Centrafrique, Soudan du sud, nord de l’Ouganda). Le français est langue officielle, ce qui fait de la RDC le premier pays francophone du monde. Quatre autres parlers ont le statut de langues nationales : le kituba (créole du kikongo) et le lingala aux abords de l’Atlantique, le swahili (langue véhiculaire au Katanga et dans tout l’Est) et le tshiluba (ou « luba-kasaï », distinct du kiluba des Luba du Katanga).

93 % des Congolais sont chrétiens : catholiques (30 %), protestants (28 %) ou adeptes d’une autre obédience (dont 10 % de Kimbanguistes[1]). L’islam et les religions traditionnelles se partagent les 4 % restant.

[1] Église indépendante de type prophétique, « l’Église de Jésus Christ sur la Terre par son envoyé spécial Simon Kimbangu » est apparue au Congo belge en 1921.

En 1959, la survenue de graves émeutes indépendantistes à Léopoldville conduit le roi de Belgique, également souverain du Congo belge, à promettre la tenue d’une « table ronde » avec les principaux mouvements de la colonie : l’Abako (Association des Bakongo) de Joseph Kasavubu, fondée en 1950, et le Mouvement national congolais (MNC), formé en 1958 par Patrice Lumumba, natif du Kasaï et membre de la petite ethnie des Tetela. Tenue en janvier 1960, la réunion promise par Bruxelles aboutit à la mise en place d’un État unitaire qui accède à l’indépendance en juin. Le MNC et ses alliés de gauche ayant remporté les élections, Lumumba devient Premier ministre, tandis que Kasavubu est élu Président de la République.

Dès ses premiers pas, le nouvel État connaît des troubles. Au Kasaï, des soldats de la Force publique – nom de l’armée nationale – se mutinent contre leurs officiers blancs, mutinerie qui s’accompagne de violences à l’égard des cent mille Européens restés dans le pays, notamment pour exploiter ses innombrables richesses minérales. Sans y avoir été invitées par les autorités congolaises, des milliers de soldats belges interviennent pour rétablir l’ordre dans la province révoltée, mais aussi à Léopoldville (future Kinshasa). Ils soutiennent aussi l’État du Katanga (près de 500 000 km²), dont l’indépendance a été proclamée, dès juillet 1960, par Moïse Tshombé. Dans son entreprise, ce descendant de l’Empereur des Lundas bénéficie du soutien de l’ancien colonisateur belge et des milieux d’affaires occidentaux, inquiets d’une potentielle nationalisation de leurs activités dans l’extraction de cobalt, de cuivre, d’uranium, de coltan, d’étain… Parfois qualifiée « d’anomalie géologique », la République démocratique du Congo recèle en effet d’énormes richesses minières : de cobalt, de cuivre, d’uranium et de coltan au Katanga, d’étain au Katanga et au Kivu, d’or au Haut Congo (à la frontière du Soudan), d’argent et de diamants au Kasaï… Dans cette dernière région, un « Royaume fédéré du Sud-Kasaï » (30 000 km²) est proclamé par Albert Kalonji, rival de Lumumba au sein du MNC et chef des tribus (Ba)Lubas, ennemies des Lundas vivant plus au sud.

Lumumba tire les conséquences de la situation : rompant avec la Belgique, il fait appel à l’ONU, qui déploie des Casques bleus. Mais les forces internationales n’interviennent pas au Katanga, où elles se limitent à imposer un cessez-le-feu. Elles n’empêchent pas davantage l’Armée nationale congolaise (ANC) de massacrer les Luba révoltés du Sud-Kasaï. Dénonçant la « trahison » de l’ONU, le Premier ministre se rapproche des Soviétiques, ce qui en fait un « homme à abattre » pour les Occidentaux, en particulier pour la CIA américaine. Démis de ses fonctions en septembre 1960, Lumumba est arrêté et assassiné en janvier suivant, après la prise de pouvoir du chef d’état-major de l’ANC, Joseph-Désiré Mobutu, un colonel d’ethnie ngbandi.

L’ex-Congo belge est alors un pays fragmenté, le pouvoir central ne contrôlant que le Centre et le Nord. Malgré le départ des soldats belges, Tshombé a renforcé son pouvoir, grâce au soutien de l’Union minière du haut-Katanga (UMHK) : elle lui permet de financer une force armée, les « gendarmes katangais », encadrés par des mercenaires européens et sud-africains qui recevront le surnom « d’affreux » de la part des populations locales. Son pouvoir est cependant contesté par les Luba, dans le nord du Katanga, tandis que les partisans de Lumumba sont entrés en rébellion à l’Est.

La situation s’arrange légèrement les mois suivants. Mobutu rend le pouvoir aux civils et le nouveau gouvernement parvient à reprendre la Province orientale aux lumumbistes en janvier 1962. En octobre, Kalonji est évincé par des militaires, ce qui met fin à la sécession du Sud-Kasaï. Enfin, le mois suivant, l’armée congolaise et les Casques bleus s’emparent d’Elisabethville, obligeant Tshombé à négocier et à renoncer à la sécession du Katanga[1]. D’abord contraint à l’exil, il est cependant rappelé par le Président Kasavubu –resté à son poste malgré tous les événements – pour prendre la tête d’un « gouvernement de salut public ».

En effet, la menace lumumbiste n’a pas disparu. Elle réapparaît en janvier 1964 dans tout l’Est, du nord du Katanga et du Kasaï jusqu’au Kivu, sous le nom de rébellion muleliste (du nom de son chef Pierre Mulele) ou simba : le nom provient de la croyance des combattants que, grâce à l’absorption massive d’alcool et de drogues, ils seront transformés en lions (« simbas » en swahili) et immunisés contre les balles de leurs adversaires, transformées en gouttes d’eau. Accompagnée de massacres et d’exactions à l’encontre des Européens comme des Africains, religieux ou fonctionnaires, l’insurrection se rend rapidement maîtresse de la moitié du pays et proclame à Stanleyville (future Kisangani) une République populaire du Congo, reconnue par l’URSS et l’Égypte. La rébellion voit alors passer dans ses rangs des personnages célèbres comme Che Guevara, à la tête d’un contingent cubain, ou appelés à le devenir, comme le futur dictateur Idi Amin Dada qui commande alors l’armée ougandaise. Mais les succès lumumbistes ne durent pas. Après l’enlèvement d’Occidentaux, les Américains et la Belgique conviennent d’une intervention. En novembre 1964, des commandos belges – appuyés par des troupes au sol provenant en grande partie de la tribu des Lunda du Katanga – s’emparent de Stanleyville et mettent fin à la rébellion.

La situation ne s’apaise pas pour autant. Lorsque Tshombé remporte les élections législatives de 1965, Kasavubu en prend ombrage et le révoque, avant d’être à son tour déposé par Mobutu, en novembre 1965.

[1] Ces négociations voient la mort du Secrétaire général de l’ONU dans un mystérieux « accident » d’avion.


Dans les premiers temps, le coup d’État est plutôt bien accueilli, la population espérant qu’il favorisera un retour au calme et la consolidation de la nation congolaise. Le nouveau régime prend d’ailleurs des mesures à caractère nationaliste, telles que la nationalisation de l’économie, en particulier de l’UMHK sous le nom de Gécamines, et la réhabilitation de Lumumba : Elisabethville, la plus grande ville katangaise, reçoit ainsi le nom de Lumumbashi. En 1971, le lancement d’une politique « d’authenticité » conduit à l’africanisation de certains noms propres : le pays prend le nom de Zaïre[1] et le Katanga celui de Shaba (« cuivre » en swahili). Le chef de l’État se fait lui-même appeler Mobutu Sese Seko[2]. Mais, derrière ces initiatives, le régime se durcit. Élevé au rang de maréchal, Mobutu concentre tous les pouvoirs, y compris économiques. Des révoltes continuent aussi d’agiter la périphérie, en particulier le Shaba. En 1978, d’anciens gendarmes katangais, engagés dans la guerre civile en cours en Angola, occupent Kolwezi, le principal centre minier de la province. Incapable de tenir le choc, l’armée nationale abandonne les lieux, laissant les rebelles exécuter quelque sept cents Africains et près de trois cents Européens. L’ordre n’est restauré que grâce à l’intervention de contingents des États-Unis, de la France, du Maroc et de la Belgique, appelés à l’aide par Kinshasa.

Le pillage et le délabrement de l’économie sont tels que les risques d’embrasement social augmentent. En 1990, la répression d’une manifestation d’étudiants fait ainsi cinq cents morts à Lumumbashi. Une fois le bloc soviétique fissuré, les Occidentaux font pression sur Mobutu pour qu’il s’engage dans un processus de démocratisation. C’est dans ce cadre qu’une conférence nationale « souveraine » est organisée, en vue d’élaborer une Constitution plus démocratique. Mais l’initiative donne peu de résultats, à l’exception de la nomination d’un Luba du Kasaï, Étienne Tshisekedi, au poste de Premier ministre. Cette décision provoque, au Shaba, des affrontements similaires à ceux qui avaient suivi l’indépendance du Katanga, entre Katangais « d’origine » et migrants Kasaïens.

Au milieu de l’année 1993, des affrontements pour la possession des terres éclatent aussi, dans la province du Nord-Kivu, en particulier dans le massif du Masisi. Ils opposent des tribus autochtones (Hunde et autre Nyanga, Nandé et Tembo) aux « Banyarwandas », le nom donné aux Tutsis et Hutus de l’est congolais (cf. infra). Les premiers massacrent les seconds sur les marchés et à la sortie des églises, ce qui entraîne des représailles. Les violences, qui font entre 10 000 et 30 000 morts, repartent de plus belle en décembre 1995, avec l’arrivée au Nord-Kivu d’un million de Hutus du Rwanda, fuyant l’irrésistible avancée dans leur pays du Front patriotique rwandais (FPR), d’ethnie tutsie. Parmi ces réfugiés figurent d’anciens combattants des Forces armées rwandaises (FAR) et des milices Interahamwés (« ceux qui travaillent ensemble »), auteurs d’un véritable génocide au Rwanda (800 000 morts, très majoritairement tutsis, entre avril et juillet 1994).

         Les vagues de migration rwandaise
Avant la colonisation, le royaume du Rwanda-Urundi débordait sur le Kivu. Lorsque les Européens se sont partagés l'Afrique au Congrès de Berlin (1885), ces Rwandais sont passés sous la souveraineté du « Congo belge ». Puis, entre 1927 et 1956, le colonisateur belge a fait venir des milliers de Hutus rwandais, réputés plus travailleurs que les tribus locales, pour mettre en valeur les grandes plantations de cette région riche, ainsi que pour travailler dans les mines ou construire des routes : mise en place en 1937, la Mission d’immigration afférente a ainsi drainé 200 000 personnes durant la période coloniale et encore 100 000 pendant la première décennie d’indépendance.
En 1959, avec l’arrivée d’un pouvoir hutu au Rwanda, ce sont des milliers d’éleveurs tutsis de ce pays qui s’implantent à leur tour dans les riches pâturages du Masisi et dans la région de Mulenge, sur sur les hauts-plateaux du massif de l'Itombwe au sud-Kivu.
Ces divers migrants tutsis et hutus sont citoyens du Congo belge, puis du Congo indépendant, du moins jusqu'en 1981. Le Parlement de Kinshasa supprime alors cette citoyenneté collective, qui ne peut plus être obtenue qu’à titre individuel. Conséquence : des dizaines de milliers de "Banyarwanda" et "Banyamulenge" (le nom que se donnent les Tutsis du sud-Kivu) cessent d'être citoyens congolais.

[1] Le nom « Zaïre » est le nom que les premiers explorateurs portugais ont donné au mot kikongo « nzadi », signifiant « fleuve »

[2] Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za banga, soit « l’homme qui vole de victoire en victoire et ne laisse rien derrière lui » ou encore « le coq de la basse-cour qui couve toutes les poules ».


C’est de cette situation que va venir l’effondrement du régime Mobutu. En 1996, le nouveau gouvernement tutsi du Rwanda décide d’en finir avec les extrémistes hutus réfugiés chez son voisin. Voulant donner une coloration congolaise à son opération, le chef d’État rwandais, Paul Kagame, favorise la création d’une rébellion locale, constituée à partir de quatre factions politico-militaires mineures : l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDLC). Dirigée par Laurent-Désiré Kabila, chef Baluba d’un petit mouvement lumumbiste opérant dans les montagnes du Kivu (le Parti révolutionnaire populaire), la nouvelle rébellion s’appuie sur les Tutsis « Banyamulenge » (du sud-Kivu) et « Banyaviura » (du Katanga), ainsi que sur de nombreux combattants Hunde, Nyanga et Ngilima qui se surnomment « maï-maï » (« eau-eau » en swahili) : comme les simbas avant eux, ils s’enduisent d’une lotion concoctée par leurs sorciers qui aurait le pouvoir de transformer les balles en eau, ce qui les rendrait invulnérables. Surtout, l’AFDLC bénéficie du soutien de l’armée rwandaise et de son alliée ougandaise. La première profite de la situation pour démanteler de nombreux camps hutus de l’est congolais, y massacrant peut-être 200 000 réfugiés ; au moins 500 000 se résolvent, de leur côté, à revenir au Rwanda. En sens inverse, l’armée zaïroise s’en prend aux « Banyamulenge », suspectés de constituer une « cinquième colonne » favorable aux régimes qui dirigent le Rwanda, mais aussi le Burundi (qui, lui aussi, fait face à des rébellions hutues).

Mais la déliquescence du régime Mobutu, malade et régulièrement absent du pays pour se faire soigner, est telle qu’il va tomber comme un fruit mûr. Le plus souvent, les rebelles s’emparent de villes, largement désertées par les soldats des Forces armées zaïroises (que la population appelle les « défazés ») qui pillent les localités traversées durant leur retraite, au même titre que les mercenaires serbes recrutés par le régime. Après avoir pris Kisangani, la rébellion, aidée de soldats zambiens, s’empare de Lumumbashi, défendue par une coalition hétéroclite (soldats réguliers des FAZ, rebelles angolais de l’Unita, militaires togolais). L’Alliance reçoit aussi le soutien militaire du régime angolais, trop heureux de pouvoir se débarrasser d’un pouvoir mobutiste qui a toujours soutenu ses rebelles (l’Unita ou les séparatistes de l’enclave de Cabinda, cf. Particularisme étatiques). Très fortement soutenue par le Rwanda, et largement composée de Tutsis congolais et rwandais, la rébellion a également reçu un appui des États-Unis, allant de la livraison d’armes et de munitions jusqu’à la présence d’officiers américains des forces spéciales lors de la conquête de la ville de Bukavu. Finalement, l’AFDLC entre à Kinshasa en mai 1997 et Kabila prend le pouvoir, mettant fin à la première guerre du Congo. Exilé au Maroc, Mobutu y meurt en septembre suivant.

Ayant rendu au pays son ancien nom, Kabila instaure rapidement un régime autoritaire, mêlant parti unique, autarcie économique, endoctrinement massif de la population et népotisme en faveur des Katangais, sans pouvoir remettre en marche l’économie et les services publics du pays. Le chef de l’État réfute aussi les accusations, émanant de l’ONU, selon lesquelles ses troupes et celles de Kagamé ont commis forces massacres dans l’Est congolais. La région devient aussi un théâtre d’intervention pour l’armée ougandaise qui y traque ses rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF), cantonnées à la frontière entre les deux pays et renforcées par d’anciens militaires des Forces armées zaïroises et rwandaises.

Rapidement, Kabila essaie de se défaire de la tutelle de ses « parrains » rwandais et ougandais, qui sont devenus trop envahissants et lorgnent ostensiblement sur les richesses de l’Est congolais. Kigali, Kampala et le Burundi reprochent aussi à leur protégé de ne pas faire assez pour éradiquer ceux de leurs mouvements rebelles qui ont établi des bases aux Kivu. Kabila rétorque sur le terrain du nationalisme, en annonçant le renvoi de toutes les troupes étrangères stationnant en RDC, notamment à Kinshasa où la présence des Rwandais était de plus en plus mal supportée. Le mois suivant, en août 1998, Kigali soutient la création d’un Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), mouvement hétéroclite dans lequel figurent des mobutistes, ainsi que Deogratias Bugera, le seul des cofondateurs de l’AFDL (outre Kabila) qui ne soit pas encore mort ou emprisonné. De son côté, l’Ouganda soutient le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Bemba dans la province septentrionale d’Équateur.


Dans les deux Kivu (près de 59 500 km² au Nord et un peu plus de 69 000 au Sud), les milices banyamulenge, fers de lance de la conquête du pouvoir par Kabila, se soulèvent contre lui à l’été 1998, l’accusant de ne pas avoir tenu sa promesse de leur céder les deux provinces. Les rebelles s’emparent de Bukavu et de Goma, mais les combats ne se limitent pas aux Kivu, et gagnent tout l’est, voire l’ouest du pays, avec le renfort local de troupes congolaises, lassées du nouveau pouvoir : des combats ont ainsi lieu dans la province du Bas-Congo, où se déroule aussi la traque des séparatistes de l’enclave voisine de Cabinda par l’armée angolaise. Pour faire face à la situation, Kabila s’appuie sur des ennemis jurés des Banyamulenge : « maï-maï » congolais et même Interahamwés hutu. Il fait surtout appel à l’Angola, au Zimbabwe et à la Namibie – tenants d’une Afrique bantoue contre une Afrique « hamitique » dont l’Ouganda serait le leader – auxquels il cède au passage l’exploitation de certaines richesses nationales. Le Soudan et le Tchad viennent également appuyer les forces du régime. Ces diverses interventions s’avèrent salutaires, puisque les rebelles doivent abandonner tout le sud-ouest du pays et se replier sur leurs positions de l’Est.

Un accord de paix est finalement signé, en juillet 1999, à Lusaka. Il prévoit un retrait de toutes les forces étrangères (jusqu’à huit pays ont été impliqués), un désarmement de toutes les milices (y compris Interahamwe), le déploiement de Casques Bleus pour superviser le cessez-le-feu et l’ouverture de discussions entre le gouvernement, l’opposition civile et la rébellion. D’abord rétives, les deux factions rivales du RCD, l’une pro-rwandaise, l’autre pro-ougandaise, finissent par signer le texte. Mais la violence ne baisse guère. Chaque camp ayant mis le pays en coupe réglée n’a pas intérêt à un arrêt des combats et profite même de la situation pour se renforcer.

Le chaos favorise aussi la résurgence de rivalités anciennes, comme dans la riche région aurifère et agricole d’Ituri, à l’ouest du lac Albert et au nord du Nord-Kivu : des milliers de personnes, majoritairement Bahema, sont victimes des raids de milices Walendu qui, sous l’emprise de la drogue, s’adonnent à des rituels tels que le cannibalisme, la chair des ennemis étant supposée accentuer la force des guerriers qui les ont tués). Les combats fratricides entre factions du RCD reprennent également, fin 1999, dans la riche ville diamantifère de Kisangani tandis que, au Nord, le MLC soutenu par l’Ouganda renforce ses positions, grâce au ralliement de dissidents du RCD. Mais la prolifération d’armes a ses limites : début 2001, une guerre tribale éclate en Ituri entre Hema et Lendu, deux ethnies armées par les Ougandais. Pasteurs, les Hema ont profité de la colonisation belge (comme les Tutsi) au détriment des autres ethnies locales, dont les agriculteurs Lendu.

En janvier 2001, Kabila est assassiné, sans doute victime d’anciens frères d’armes voulant venger des camarades exécutés par le régime. Il est remplacé par son jeune fils Joseph qui, depuis 1998, dirigeait les forces armées congolaises. La timide ouverture pratiquée par le nouveau chef d’État – qui a écarté plusieurs proches de son père – contribue à un relatif apaisement en 2002. Le Burundi, puis le Zimbabwe, retirent leurs troupes. Ils sont suivis, à l’automne, du Rwanda et de l’Ouganda, qui conserve toutefois des effectifs en Ituri, au titre d’une mission de « pacification ». En pratique, le pays se retrouve coupé en trois grandes « zones » : l’Ouest aux mains des Gouvernementaux, le Nord tenu par le MLC (avec l’appui d’un contingent libyen venu de Centrafrique) et tout l’Est à la merci d’une multitude de groupes aux alliances variables. En octobre, une coalition improbable s’empare brièvement de la ville d’Uvira, au Sud-Kivu : elle associe les Banyamulenge du RCD-O (originel) – qui se sont rebellés contre l’emprise exorbitante du Rwanda sur le RCD – à leurs ennemis jurés, des milices maï-maï et les Hutus de l’Alliance pour la libération du Rwanda (ALIR).

Les combats qui se poursuivent s’accompagnent de graves exactions, documentées par l’ONU, en particulier en Ituri de la part du MLC et du RCD-National pro-ougandais. Lors d’une opération cyniquement baptisée « vaccination porte à porte », leurs milices dites « Effacer tableau » vont jusqu’à déterrer les morts pour s’emparer de valeurs éventuelles et s’en prennent en particulier aux Pygmées, buvant leur sang (censé donner un pouvoir particulier), mangeant leur chair et exhibant leurs têtes ou leurs sexes comme des trophées et des porte-bonheurs. Dans la même région de l’Ituri, des miliciens tribaux massacrent les membres d’autres ethnies jusque dans leur lit d’hôpital. Les violences reprennent aussi, au printemps 2003, à la faveur du retrait des troupes ougandaises. Les victimes appartiennent à l’ethnie Hema et leurs assaillants à l’ethnie Lendu, la seule qui soit désormais soutenue par les Ougandais, tandis qu’une nouvelle rébellion Hema, l’Union du peuple congolais (UPC), reçoit l’appui du Rwanda ; les autres ethnies sont sommées de choisir l’un ou l’autre des camps, sans que la force locale de l’ONU (la Monuc) ne réagisse.

En avril 2003, le dialogue inter-congolais favorisé par Kabila débouche sur la formation d’un gouvernement de transition, dit « 4 + 1 », dans lequel deux importants chefs rebelles (dont Bemba) exercent une vice-Présidence. Mais la situation n’est pas pour autant pacifiée. Non seulement de nombreuses factions n’ont pas signé l’accord, mais il est aussi contesté par les « faucons » du régime : en mars, puis juin 2004, Kabila échappe à deux tentatives de putsch. A la même époque, des milliers d’anciens rebelles du RCD, intégrés dans la nouvelle armée, reprennent les armes : aidés par le Rwanda, ils affrontent les troupes loyalistes et leurs alliés maï-maï, au motif (apparemment erroné) qu’un massacre se préparait contre leurs « frères » Banyamulenge. L’incapacité de la Monuc (dont la présence coûte deux millions $ par jour) à contrer l’incursion des rebelles provoque de violentes manifestations contre l’ONU à Kinshasa et à Kisangani et va lui valoir, de la part de la population, le sobriquet de « pauvre Monique ».

La situation n’est pas meilleure au Katanga, où les dix mille combattants démobilisés se sont souvent reconvertis dans le banditisme, ni dans certains districts de la Province orientale, qui servent de base arrière aux rebelles de l’Armée de résistante du Seigneur (LRA), un mouvement messianique ougandais. Le spectre du génocide rwandais n’a pas non plus disparu : arguant de tirs des « forces génocidaires » contre son territoire, le gouvernement de Kigali infiltre, en décembre, des milliers d’hommes en RDC pour y détruire les bases des « forces négatives » (Interahamwes et ex-FAR), qui compteraient encore une dizaine de millier de combattants. En Ituri, la demi-douzaine de milices agissantes continuent à se livrer au pillage et aux viols, voire se liguent contre la Monuc : en février 2005, neuf Casques bleus bangladais sont victimes d’une embuscade meurtrière, tendue par la Force patriotique de la résistance en Ituri (FPRI) dans une zone tenue par une autre milice lendu, le Front nationaliste et intégrationniste (FNI). Le mois suivant, c’est le chef de l’UPC-FPLC (Forces patriotiques pour la libération du Congo), qui est arrêté et transféré à La Haye, où il sera condamné par la Cour pénale internationale (CPI) à quatorze ans de prison pour le recrutement d’enfants soldats.

A partir de fin 2006, un nouveau venu fait parler de lui : le général Nkunda, ancien officier du RCD-Goma ayant fait dissidence avec cinq mille hommes dans le territoire de Masisi, au Nord Kivu. Se posant en défenseur des Tutsis congolais, son Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) se bat, au Nord Kivu et en Ituri, contre les forces armées gouvernementales (FARDC) et leurs alliés locaux : les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), composées d’extrémistes hutus rwandais auxquels Kinshasa a concédé l’exploitation de ressources minières locales, ainsi que les Pareco (Patriotes résistants congolais), un mouvement maï-maï divisé en plusieurs factions. Bien qu’appuyée par des soldats angolais et par les blindés et hélicoptères de la Monuc, l’armée gouvernementale part une nouvelle fois en débandade et en pillages, alors que le CNDP approche de Goma, à l’automne 2008. Mais Nkunda, soutenu par le Rwanda, ne va pas plus loin : il cesse son offensive et appelle la Monuc à occuper les positions libérées par le retrait de ses troupes.

Deux mois plus tard, il est placé en résidence surveillée par le Rwanda, qui le remplace par le chef militaire du mouvement, et ancien numéro deux de l’UPC, le Rwandais Bosco Ntaganda : c’est ce dernier qui, en mars 2009, signe un accord de paix avec le gouvernement congolais, avec pour mission de l’aider à traquer les Hutus du FDLR. Mais, en pratique, le CNDP se livre à un pillage des ressources et à des exactions, principalement contre l’ethnie Hunde et sa milice, l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) : « Terminator » Ntaganda et ses hommes sont suspectés de vouloir chasser cette ethnie du Masisi pour la remplacer par des réfugiés Tutsis.


Lorsque Kinshasa tente de mettre un terme à ces pratiques en 2012, en mutant les ex-rebelles de la CNDP dans une autre région, des officiers de ce mouvement désertent de l’armée congolaise, avec quelques centaines d’hommes. En mai 2012, les mutins se transforment en mouvement politico-militaire, le M23 (Mouvement du 23 mars, date de signature de l’accord politique de 2009 avec le gouvernement congolais). Opérant depuis le Parc des Virunga, dans la partie septentrionale du Nord-Kivu, la rébellion opère de nombreux ralliements et peut compter, d’après l’ONU, sur le soutien du Rwanda et même de l’Ouganda. Si le second « se contente » de les laisser passer sur son territoire, le premier fournit des armes, voire des combattants entraînés sur son sol et une bonne partie de la chaîne de commandement.

Progressivement, les combats dépassent la ligne de front M23 / FARDC, chacun des deux camps battant le rappel de ses supplétifs : du côté de l’armée congolaise, les Hutus rwandais du FDLR, l’APCLS des Hunde et des milices maï-maï telles que l’Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP, issue du Panam, Parti national maï-maï) ; du côté des rebelles, les maï-maï Cheka (du nom de leur chef ou Nduma Défense du Congo) dans le Masisi et les milices Raia Mutomboki (« citoyens en colère » en swahili). En réaction contre les exactions de ces dernières, les Hutus congolais se dotent de leurs propres milices d’autodéfense villageoises, les Nyatura (« fouet »). Les heurts entre ces différents mouvements font des centaines de victimes dans le seul Masisi. Armés d’arcs, de flèches, de lances et parfois d’AK47, ces groupes sont au nombre d’une trentaine dans le seul Nord-Kivu. Ils sont notamment actifs dans le parc des Virunga, refuge des gorilles des montagnes, y exécutant les garde-forestiers qui s’opposent à leurs trafics, notamment de production de charbon. Même quand ils sont « alliés », tous ces mouvements se détestent cordialement et n’ont qu’un objectif : peser de tout leur poids dans les combats, afin d’obtenir le maximum d’avantages quand une nouvelle paix sera signée. Nombre d’entre eux ont également éclaté en factions rivales qui se livrent parfois au banditisme, en plus de leurs activités illégales dans l’extraction minière.

En novembre 2012, les FARDC lancent une offensive pour empêcher l’Armée révolutionnaire du Congo (bras armé du M23) de s’emparer de Goma, mais elles enregistrent une nouvelle déroute, puisque les rebelles entrent dans la capitale du Nord-Kivu. Ils acceptent toutefois de s’en retirer sous la pression de leur parrain rwandais, lui-même « pressé » par ses soutiens occidentaux. En février 2013, l’ensemble des pays des Grands lacs (et l’Afrique du sud) signent, à Addis-Abeba, un accord destiné à instaurer la paix, ce qui fait imploser le M23, entre les partisans de Nkunda, prêts à rentrer dans le rang, et ceux de Bosco « Terminator » Ntaganda, hostile à tout accord car sous le coup d’un mandat d’arrêt auquel il n’échappe pas, puisqu’il est battu et transféré au CPI. Lâché par son parrain rwandais, le M23 est vaincu, en octobre 2013, par l’armée congolaise et la nouvelle force d’action rapide de la Monusco. Ses troupes s’enfuient au Rwanda et en Ouganda.

Fort de ce succès, Kinshasa entreprend de désarmer tous les mouvements armés des Kivu, y compris ceux qui l’ont aidé dans le passé. Aidée de la Monusco, l’armée congolaise lance ses premières offensives en décembre 2013, au nord de Goma, contre les FDLR et l’APCLS qui ont refusé ses appels au désarmement. Le mois suivant, elle attaque les Forces démocratiques alliées (ADF-Nalu, une rébellion islamique ougandaise née dans les années 1990) qui se livrent à des exécutions et des rafles de civils dans la région de Beni, voisine de l’Ituri. Malgré l’appui de la Monusco, les exactions des rebelles ougandais se poursuivent sans relâche les mois suivants. En janvier 2015, les FARDC prennent plusieurs bases des Forces nationales de libération (FNL), rebelles hutus burundais, implantées près de la frontière entre le Congo et le Burundi. Des combats l’opposent aussi à leurs anciens alliés de la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), toujours active sur le front des pillages et des exactions, malgré l’arrestation de son chef en janvier 2015.

Sur fond de tensions foncières, des violences ethniques éclatent aussi dans le territoire de Lubero (Nord-Kivu), entre les Nyatura hutus et les maï-maï Mazembe, milice des tribus locales (Nande, Hunde et Kobo). Les Hutus eux-mêmes sont divisés, comme en témoignent les combats qui, dans le Masisi, opposent les Nyatura et les miliciens du Conseil national pour le renouveau et la démocratie (CNRD, dissidence des FDLR Hutu qui essaie de s’emparer de terres et de localités dans la région) au printemps 2017. En septembre, la deuxième ville du sud-Kivu, Uvira, est attaquée par des maï-maï de la CNPSC (Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo) arrivés en bateau, des rives burundaises ou tanzaniennes du lac Tanganyika. L’offensive est repoussée par les FARDC et la Monusco comme celle, simultanée, des maï-maï Malaika (un groupe allié) contre une ville de la province du Maniema, voisine du Sud-Kivu. Le mois suivant, les ADF refont parler d’elles, en faisant allégeance au groupe international État islamique (sous le nom de Madinat Tahwid wa-l-Muwahidin, MTM, la ville du monothéisme et des monothéistes). En décembre, elles attaquent un camp de la Monusco, dans la région de Beni : une quinzaine de soldats tanzaniens sont tués, soit le plus lourd bilan de l’ONU depuis son fiasco en Somalie, à l’issue d’un assaut de plusieurs heures mené par des hommes lourdement armés.

A ce panorama sanglant s’ajoutent des incidents frontaliers entre armées régulières. En février 2018, des combats meurtriers opposent l’armée congolaise à des soldats rwandais, accusés d’être entrés sur le sol de la RDC, dans une zone mal délimitée du parc des Virunga ; en juillet, un incident entre patrouilles navales ougandaise et congolaise fait une demi-douzaine de morts sur les eaux du lac Édouard, que se partagent les deux pays. Bien qu’en froid avec son voisin, Kagame se rapproche toutefois du régime de Kinshasa, sur lequel il compte pour empêcher une conjonction de tous ses opposants armés : les Hutus du FDLR et de ses dissidences (comme le CNRD ou le RUD-Urunana, Rassemblement pour l’unité et la démocratie) et les Tutsis du Congrès national rwandais (RNC, fondé en 2010 par le général Nyamwasa, ancien allié du Président rwandais, qui opère surtout parmi les populations Banyamulenge des hauts plateaux du sud-Kivu).

L’est congolais n’en continue pas moins de s’embraser. En juin 2019, au moins cent-soixante membres des ethnies Hema et Alur sont tués dans la province d’Ituri, à la suite du meurtre de commerçants Lendu imputé à des Hema. Les représailles sont exercées par la Codeco (Coopérative pour le développement du Congo), un mouvement majoritairement Lendu. Créée dans les années 1970 pour promouvoir l’agriculture, la Codeco a donné naissance à une myriade de mouvements mystico-militaires, la plupart du temps indépendants les uns des autres. Le même mois, un mandat d’arrêt est lancé, pour crimes de guerre et contre l’humanité, à l’encontre de « Guidon », le chef de la NDC-R (Nduma Defense of Congo-Rénové) qui a succédé au maï-maï Sheka (condamné à perpétuité en novembre 2020 par un tribunal militaire). Utilisée par l’armée congolaise pour lutter contre des groupes armés hutus, au même titre que des mouvements comme l’Union des patriotes pour la défense des innocents, la NDC-R a pris une telle ampleur qu’elle déstabilise toute la région, poussant par exemple le CNRD à quitter le Masisi pour le sud-Kivu, où il se heurte aux populations locales.

Sur les plateaux du Sud-Kivu, la moitié des treize communautés locales (Banyamulenge, Bafulirus, Banyindus, Baviras, Barundis, Babembas) sont dotées de groupes armés antagonistes. Les Banyamulenge sont notamment la cible de milices maï-maï souvent coalisées, y compris avec des groupes rebelles burundais (FNL, RED Tabara) qui combattent le régime de Gitega. Inversement, les milices Gumino des Banyamulenge ont fait alliance avec des rebelles rwandais hostiles au régime de Kigali (comme le NRC) et qui sont également engagés contre les insurgés burundais, le Rwanda et le Burundi s’accusant de soutenir leurs opposants respectifs.

Au total, une soixantaine de groupes (congolais et étrangers) opèrent en RDC, dont 10 % du territoire est encore en guerre en 2020 (contre un tiers deux ans plus tôt). Depuis leur déclenchement en 1994, les guerres du Congo ont fait six millions de morts, le plus souvent victimes de faim et de maladie, et déplacé autant de personnes, dont un million dans les pays voisins. Déjà en 2010, un rapport du Haut Commissariat des droits de l’homme de l’ONU dressait un bilan extrêmement sévère des deux guerres du Congo, notamment « le massacre systématique de survivants » dans des proportions telles que « les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ».


L’élection de l’opposant Félix Tshisekhedi (fils d’Etienne) à la tête du Congo, en 2019, ne change guère la donne, même si le nouvel élu s’efforce de donner des gages à Kagame : à l’été 2019, il lui livre une centaine de combattants du général Nyamwasa, arrêtés alors qu’ils descendaient des hauts plateaux du Sud-­Kivu pour rejoindre un camp en Ouganda. Mais le nouveau pouvoir de Kinshasa est faible, fragilisé par le camp de Kabila, mécontent de n’avoir pu se représenter. Le régime rwandais en profite pour reprendre ses opérations sur le sol congolais. L’instauration de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, en mai 2021, n’y change rien : l’armée reste indisciplinée et des officiers détournent l’argent des soldes et des rations. Ainsi, en octobre 2020, l’armée congolaise, pourtant prévenue, n’est pas intervenue pour empêcher les ADF de commettre un nouveau massacre dans le territoire de Beni. Pour ne rien arranger, l’attaque est intervenue alors qu’un officier congolais venait de s’enfuir avec 85 000 dollars destinés à payer les militaires engagés sur le principal front avec les rebelles ougandais. Dans certains cas, ceux-ci bénéficient du concours de groupes maï-maï, tels que les Mazembe et les Baraka. En novembre 2021, Kinshasa doit accepter que l’armée ougandaise pilonne, depuis son territoire, les positions des ADF sur le sol congolais, face à la répétition de leurs massacres en Ituri et au Nord-Kivu (et après qu’elles ont revendiqué un attentat en Ouganda). L’Ouganda que la Cour internationale de justice (CIJ) condamne, en février 2022, à verser 325 millions de dollars à la RDC pour les dommages, humains et matériels, commis par son armée entre 1998 et 2003.

Le mois suivant, dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), de violents combats opposent l’armée congolaise au M23, qui s’est reformé. Preuves à l’appui, Kigali est accusé d’avoir favorisé la résurgence du mouvement et de lui fournir des hommes et de l’armement, non seulement pour traquer les opposants hutus, mais aussi pour protéger ses intérêts économiques dans le pays et empêcher le rival ougandais de prendre trop de place dans l’exploitation du coltan, de l’or et d’autres minerais. Les ressources minières du Rwanda représentent en effet 14 % de son PIB, bien au-dessus de ses capacités, ce qui accrédite l’idée que le pays en rapatrie depuis l’est de la RDC et les vend comme « made in Rwanda ». Cette manne économique est essentielle pour un pays dont le développement agricole est freiné par sa densité démographique (plus de 500 habitants au km²).

En parallèle, l’hostilité de la population vis-à-vis de la Monusco augmente. En juillet, des manifestants prennent d’assaut leurs installations dans plusieurs villes du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ; les heurts font une trentaine de morts, dont quatre Casques bleus. En septembre, la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (AEC), que la RDC a rejointe, déploie ses premiers effectifs au Nord-Kivu : des militants kényans rejoignent les soldats ougandais, sud-soudanais et burundais opérant déjà dans l’est de la RDC. Le mois précédent, un contingent burundais s’était déployé officiellement dans le Sud-Kivu méridional, pour aider l’armée congolaise à combattre ses propres rebelles et empêcher les infiltrations de rebelles burundais. En février 2023, ces troupes sont complétées par des Angolais.

Sous l’égide de l’EAC, un troisième round de négociations inter-congolaises s’est ouvert en novembre 2022 au Kenya. Une trentaine de groupes rebelles y participent, aux côtés des partis politiques, de leaders communautaires et de représentants de la société civile. Mais il n’est pas plus concluant que les précédents. Le M23 n’a pas été invité (Kinshasa faisant de son repli le préalable à tout pourparlers) et les représentants de la communauté banyamulenge se retirent des pourparlers, après des attaques contre leurs villages au Sud-Kivu. Pour désarmer, la plupart des rebelles posent leurs conditions : libération des prisonniers, amnistie et intégration dans les forces congolaises. Dans le Nord-Kivu septentrional, l’Union des patriotes pour la Libération du Congo (UPLC) refuse aussi de déposer les armes tant que les ADF ne l’auront pas fait.

Quant au M23, loin de se retirer comme les pays régionaux l’ont invité à le faire, il conforte ses positions. En février 2023, il sort de son bastion du Rutshuru et s’empare de Kitshanga, à l’entrée du riche territoire du Masisi, ancien bastion du CNDP. Cette incursion menaçant le partage de la zone effectué par d’autres milices, comme l’APCLS, le CMC Nyatura ou le NDC-R, celles-ci forment une « coalition de patriotes » qui cessera de s’en prendre aux forces gouvernementales pour concentrer ses forces contre le M23. Certaines milices du Sud-Kivu menacent également de rejoindre le Nord pour combattre le M23, qui – en sens inverse – pourrait recevoir le soutien de milices banyamulenge du Sud.


Dans le même temps, le ressentiment contre la Monusco s’accroît. En août 2023, au moins cinquante civils et un policier sont tués à Goma, lors d’une manifestation initiée par la secte « Uwezo wa Neno » (« foi naturelle judaïque et messianique vers les nations », en swahili), mêlant rites chrétiens et animistes. Dans la foulée, la RDC demande le retrait de la Monusco dès la fin de l’année 2023, sans attendre 2024, estimant qu’elle s’est attirée les foudres de la population et que l’ONU est incapable d’empêcher le soutien du Rwanda au M23. Ainsi prend fin la mission la plus coûteuse de toute l’histoire de l’ONU, si on ajoute ses effectifs militaires, policiers et civils. De leur côté, les pays de l’EAC votent le retrait de leurs troupes et leur remplacement par des soldats de la SADC (Communauté d’Afrique australe). Les seuls à demeurer sur place sont, à la demande de Kinshasa, les quelques centaines de soldats burundais déployés dans le Masisi. Les premiers effectifs sud-africains de la SAMIRDC arrivent en RDC, à la fin du mois de décembre.

Le même mois se forme une nouvelle coalition politico-militaire, l’Alliance du fleuve Congo, regroupant plusieurs mouvements insurgés de l’Est : le M23, le groupe Zaïre des Hema, la Force patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC), la Force de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI), le groupe Twirwaneho (« défendons nous » en langue banyamulenge), la Force des Patriotes pour la Défense du Congo (FPDC)… Face à une coalition qu’il accuse d’être liée à Kabila (en plus du Rwanda), le pouvoir a légalisé l’engagement, aux côtés des forces gouvernementales, de certaines milices « wazalendo » (« patriotes » en swahili) qui étaient autrefois ses ennemies : c’est le cas des maï-maï Mazembe, du Mouvement révolutionnaire du Congo (MRC), de l’APCLS  et même de la secte « Uwezo wa Neno » (dont le pasteur a pourtant été condamné à mort, après son soulèvement d’août).

En avril 2024, un accord de paix et de désarmement est signé – en présence du vice-Premier ministre Bemba – par les cinq principaux groupes d’Ituri, dont la plus importante faction des Codeco et le groupe Zaïre, qui n’avait pas adhéré au processus de négociation de Nairobi. Les violences entre Hema et Lendu diminuent, mais des affrontements entre milices perdurent, en particulier pour le contrôle de zones aurifères.

En juillet, le rapport périodique de l’ONU sur la situation dans l’Est congolais affirme que 3 000 à 4 000 soldats rwandais,dotés de moyens conséquents (dont des véhicules blindés équipés de radars et de missiles sol-air) sont déployés dans les territoires du Rutshuru, Masisi et Nyiragongo, soit davantage que les effectifs du M23, estimés à 3 000 combattants. Les rapporteurs pointent aussi la responsabilité de l’Ouganda, qui laisse passer ces forces insurgées sur son territoire et les laisse y organiser des réunions. Face à eux, le M23 et les Forces de défense rwandaises (FDR) trouvent notamment des soldats du Burundi, ennemi juré du Rwanda, qui a accru son soutien aux rebelles burundais également présents sur le territoire congolais.