Représentant plus d’un quart du territoire sénégalais (28 000 km² auxquels s’ajoutent les 59 000 km² de la région orientale de Tambacounda, ou Haute-Casamance, qui en a été détachée en 1962), la Casamance se distingue à plusieurs titres du reste du Sénégal : elle est peuplée à 60 % de Diolas (qui sont moins de 5 % à l’échelle nationale) et d’autres ethnies qui ont gardé leurs croyances traditionnelles (ou sont parfois christianisées), face à un Sénégal septentrional largement islamisé.
Elle est géographiquement séparée de ce dernier par la Gambie : le trajet entre Dakar et le territoire Casamançais s’effectue par la mer ou en passant par le sol gambien.
Historiquement, la région a fait partie de l’aire d’expansion des Mandingues : de l’Empire du Mâli à partir du XIVe siècle, puis du royaume du Gabou (ou Kaabu). Les premiers Européens à y prendre pied sont les Portugais : c’est l’un d’eux qui, en 1445, lui donne le nom de Casamansa, d’après une expression malinké signifiant « terre des rois ». Deux siècles plus tard, le Portugal fonde le comptoir de Ziguinchor (future capitale de la région), sur le cours du fleuve Casamance. A partir de 1836, la France commence à coloniser la Basse-Casamance, jusqu’à l’acquisition de Ziguinchor en 1886. L’ensemble est rattaché à la colonie française du Sénégal, mais s’en trouve séparé par la Gambie britannique, que Londres n’a pas réussi à échanger avec Paris contre d’autres territoires. Lorsque les deux capitales fixent leurs frontières dans la région, en 1889, la colonie gambienne se retrouve enclavée entre la plus grande partie du Sénégal au nord et la partie casamançaise. Au sud, la frontière avec la Guinée portugaise (future Guinée-Bissau) est arrêtée en 1905.
Terre de mangroves, de forêts et de sols fertiles, la Casamance est connue comme une région rétive à toute autorité extérieure. Après avoir fui l’esclavage pratiqué par les Mandingues, les Diolas résistent à la traite négrière occidentale et fondent des villages indépendants en Casamance, en Gambie et en Guinée-Bissau, aux côtés des ethnies déjà implantées (Balantes, Manjaques…). Dans les années 1940, une prêtresse, « la dame de Kabrousse », mène la résistance contre le paiement des impôts aux autorités coloniales. En 1947, naît le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) qui milite, politiquement, pour obtenir l’autonomie de la région. Celle-ci aurait été promise par le général De Gaulle à des leaders casamançais, en 1958, en échange de leur soutien à l’adhésion du Sénégal à la Communauté française. Mais cette promesse n’aura pas de suite, pas plus que les liens que le MFDC entretient au début des années 1960 avec Dawda Jawara, le chef du gouvernement gambien.
Les premiers heurts séparatistes de Casamance éclatent à Ziguinchor au lendemain de Noël 1982. Une partie de la population locale manifeste contre la « wolofisation » pratiquée par le régime de Dakar. Cette politique se traduit par l’arrivée de migrants, Wolofs et Mandingues, qui refoulent les Diolas vers la mer, mais aussi par la confiscation, par le pouvoir central, des richesses agricoles et touristiques de la région. De 1982 à 2020, le conflit va faire entre 3 000 et 5 000 morts (dont 800 victimes de mines anti-personnel) et déplacer plus de 100 000 personnes (y compris dans les pays limitrophes). Aucun des multiples cessez-le-feu et accords signés (en 1991, 1993, 1995, 2001) n’est respecté, tant le mouvement séparatiste est divisé.
D’abord unifié, sous la direction de l’abbé Diamacoune, le MFDC se déchire au fil des années, entre ses branches politiques (intérieure et en exil) et plusieurs factions militaires. Créée en 1983, après la répression d’une nouvelle manifestation indépendantiste, la branche armée Atika (« combattant » en diola) éclate en groupes rivaux, dont les plus importants sont le Front Sud de César Atoute Badiate (basé sur la frontière avec la Guinée-Bissau) et le Front Nord de l’auto-proclamé « général en chef » Salif Sadio, à la frontière avec la Gambie. Écarté du secrétariat général du MFDC en 2001, après l’échec d’un accord de paix, Diamacoune (décédé en 2007) perd même son titre de « Président d’honneur » en 2004 pour « incapacité objective », au profit d’un radical hostile à tout compromis avec le pouvoir sénégalais. Les factions les plus dures de la rébellion réclament en effet la création d’un État Diola qui réunirait la Casamance ainsi qu’une partie de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Elles prouvent leur détermination en avril 1995, en enlevant quatre touristes français sur la route qui mène de Ziguinchor à Cap Skirring, l’endroit le plus touristique de la région.
La signature d’un nouvel accord de paix, en décembre 2004, accentue les dissensions au sein du camp séparatiste. Au printemps 2006, des centaines d’hommes, appartenant à des factions favorables à l’accord et à l’armée bissau-guinéenne, pourchassent ceux de Sadio, toujours opposé aux négociations. Mais le Front Sud résiste et des soldats sénégalais continuent à mourir lors d’accrochages avec les rebelles. Après trois années d’interruption, les discussions entre le gouvernement et le MFDC reprennent à Rome à l’automne 2012, sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio. Cette fois, Sadio y participe et consent à relâcher des prisonniers, civils et militaires, qu’il détenait depuis un an. L’espoir renaît dans une région où l’économie est en berne : des agriculteurs ont fui leurs terres et le tourisme est en chute libre par rapport aux sommets des années 1970.
Depuis 2012, le conflit a nettement baissé en intensité, mais une violence résiduelle demeure. Elle est notamment le fait des factions les plus radicales qui s’opposent au retour des déplacés et à un déminage intégral de la région, considérant que ces questions ne peuvent être réglées que dans un processus global de paix. Ainsi, au printemps 2013, le Front Sud enlève, pour quelques mois, une douzaine de démineurs sénégalais employés par une société sud-africaine. La violence est aussi liée aux multiples trafics (bois de teck et de vène, chanvre, noix de cajou) qui se déroulent dans la région, comme en témoigne l’exécution d’une douzaine de jeunes coupeurs de bois de chauffage dans une forêt protégée proche de Ziguinchor, en janvier 2018. Ces activités délictueuses se poursuivent avec la bienveillance – voire le concours – de certaines autorités civiles et militaires, qui les tolèrent tant que la guérilla ne mène pas d’actions armées. Le MFDC continue donc à se livrer au trafic de bois de rose en direction du territoire gambien, en dépit de l’accord que le Sénégal et la Gambie ont signé à ce sujet en 2017.
Devant se contenter de maquis, les factions ne se livrent d’ailleurs plus qu’à du trafic et du pillage, faute de pouvoir encore mener des actions d’envergure. C’est que la scène régionale a changé. Début 2017, le Front Nord a perdu un de ses principaux soutiens financier et politique, avec la chute du dictateur Diola de Gambie, Yahya Jammeh, qui était au pouvoir depuis 1994. Il a été remplacé par un proche du président sénégalais Macky Sall, ce qui est aussi le cas en Guinée-Bissau à la fin de l’année 2019. Le régime de Dakar en profite : entre janvier et mai 2021, l’armée sénégalaise bombarde à plusieurs reprises la Casamance, notamment à la frontière avec la Guinée-Bissau, où elle s’empare du quartier général du Front Sud-Est, une des dissidences du MFDC.
La situation reste plus tendue à la frontière gambienne. En janvier 2022, quatre soldats sénégalais y sont tués, lors d’une offensive des forces régionales de la Cedeao contre un camp de Sadio. Le Front Nord reste la seule faction encore active, après la signature d’un accord de dépôt des armes entre le gouvernement sénégalais et le Front Sud en août 2022, sous l’égide du Président bissau-guinéen. Un autre groupe moins important, le Front Nord Diakaye signe un accord similaire au printemps 2023. Mais la région reste truffée d’engins explosifs : quatre soldats sont morts en décembre 2023, dans l’explosion de leur 4×4 sur une mine posée récemment. D’ailleurs, le déminage fait partie du plan de développement annoncé, en octobre 2024, par le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, né de père Diola et ancien maire de Ziguinchor. Il comprend aussi la réalisation d’infrastructures – comme des forages pour avoir accès à l’eau, des écoles et des voies d’accès – et le retour des services de l’État qui avaient quitté certaines zones, en raison de l’insécurité, en particulier dans les zones frontalières de la Gambie et de la Guinée-Bissau.