Si les Musulmans et les Croates livrent assez rapidement au TPIY des personnes recherchées pour les crimes commis durant les guerres de Yougoslavie (cf. De la Yougoslavie à la Serbie), ce n’est pas le cas des Serbes de Pale et de Belgrade qui n’entendent aucunement arrêter leurs citoyens. Certains ont même pignon sur rue (comme l’ancien Président de la République serbe de Krajina, Milan Martic, qui vit à Banja Luka à une centaine de mètres de bureaux de l’OTAN et de la police onusienne) ou bien bénéficient de larges complicités, civiles et militaires, pour échapper aux recherches : ainsi, Karadzic est suspecté de circuler, déguisé en prêtre, de monastère en monastère orthodoxe serbe, dans des lieux sacrés excluant toute interpellation violente. Quant à Mladic, il marie son fils à Belgrade, avant de passer ses vacances au Monténégro. Les forces internationales hésitent à les interpeler, de peur de subir de lourdes pertes (les deux hommes sont fortement escortés) et d’embraser les régions serbes. D’autres criminels ne sont pas formellement inculpés, donc pas recherchés, comme le fondateur de « camps de viols » de Foca (qui est même devenu Président de la Commission des droits de l’homme du gouvernement fédéral bosnien), ou encore les anciens seigneurs de la guerre Seselj et « Arkan ».
En réalité, une liste secrète a été établie par le TPIY et les arrestations vont se multiplier. A l’été 1997, les forces onusiennes arrêtent l’ancien maire serbe de Vukovar (qui se suicidera en prison) et l’ancien chef de la police de Prijedor (qui meurt lors de son interpellation). La première condamnation tombe en mars 1998 : cinq ans de prison pour un Bosno-Croate, accusé de s’être livré à des exécutions sommaires de Musulmans à Srebrenica, aux côtés de l’armée bosno-serbe. Des condamnations plus lourdes (de quinze et vingt ans) sont prononcées à la fin de l’année contre deux exécutants du camp bosniaque de Konjic (Bosnie centrale) où étaient été torturés des prisonniers serbes. Les arrestations n’épargnent plus personne : le successeur de Mladic à la tête de l’armée bosno-serbe, le général Talic, est arrêté à l’été 1999, lors d’un séminaire organisé par l’OSCE à Vienne. L’année suivante, les soldats onusiens de la SFOR arrêtent, à Pale, l’ancien bras droit de Karadzic, Momcilo Krajisnik, qui avait co-présidé la Bosnie après les accords de Dayton.
En mars 2000, c’est le camp croate qui est frappé : le TPIY prononce sa plus lourde peine – quarante-cinq ans – contre un ancien colonel du HVO qui avait été promu général de l’armée croate par le Président Tudjman, alors que son acte d’accusation était pourtant connu. Les choses changent avec l’arrivée d’un nouveau pouvoir en Croatie : conscient que l’adhésion du pays à l’Union européenne passera par une meilleure coopération avec le TPIY, il fait arrêter deux généraux bosno-croates en septembre 2000. En juillet suivant, le gouvernement de Zagreb doit même affronter une crise gouvernementale, après sa décision de livrer deux généraux qui n’ont pas mené d’actions de purification ethnique en Bosnie centrale ou en Herzégovine, mais ont dirigé la guerre « patriotique » de libération de la Krajina occupée par les Serbes.
En juin 2001, Milosevic est arrêté en Serbie et inculpé pour crimes contre l’humanité (en Croatie et au Kosovo) et génocide (en Bosnie) : la compétence du TPIY s’est en effet élargie aux événements commis au Kosovo depuis juin 1999, ainsi que dans le sud de la Serbie et en Macédoine. En août suivant, la première condamnation pour génocide est prononcée contre le général bosno-serbe Krstic, bras-droit de Mladic dans l’exécution de « 3500 paquets » en juillet 1995 à Srebrenica. Le même mois, Sarajevo fait arrêter trois officiers généraux qui dirigeaient la 7ème brigade musulmane de montagne : connue pour ses exactions, elle était majoritairement constituée de moudjahidines afghans, iraniens ou algériens, fournis par les pays musulmans livrant des armes au régime bosniaque. Après celle de l’ancienne Président de RS, Biljana Plavsic, de nouvelles redditions surviennent en 2003, et non des moindres : l’ancien Président yougoslave Milutinovic, puis Seselj.
Début 2005, après dix ans d’enquête, le TPIY a inculpé plus de cent-vingt responsables politiques et militaires (83 Serbes, 28 Croates, 10 Bosniaques et 4 Kosovars) pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Certains disparaissent de la scène : condamné à treize ans de détention, l’ancien Président de la RSK, Milan Babic, se suicide en 2006 dans sa prison hollandaise. Quelques jours plus tard, Milosevic meurt en détention d’une crise cardiaque, sans que son procès ait pu avoir lieu.
Les négociations d’adhésion de la Serbie à l’UE ayant été suspendues par Bruxelles, faute de résultats dans la traque des criminels toujours en fuite, Belgrade se résout à présenter, à l’été 2006, un plan d’action pour arrêter Mladic (qui continue à percevoir chaque mois sa retraite de l’armée serbe, grâce aux procurations données à des membres de sa famille). L’année suivante, des peines de cinq à vingt ans sont prononcées, comme d’anciens miliciens « Scorpions » impliqués dans les tueries de Srebrenica, par la Cour spéciale que le régime serbe a créée afin de juger les crimes de guerre. Dans ce contexte, l’UE et la Serbie signent un accord de stabilisation et d’association en avril 2008. Trois mois plus tard, Karadzic est arrêté par les services secrets serbes dans un bus à Belgrade. Un an après, le TPIY condamne un autre « poids lourd », le général Gotovina[1], chef de l’opération de reconquête croate de la Krajina en 1993 : ayant échappé à l’arrestation en 2001, grâce à des complicités en Croatie, il avait été capturé fin 2005 aux îles Canaries grâce à une information communiquée au TPIY par le nouveau pouvoir de Zagreb, plus que jamais désireux d’intégrer l’UE.
Les derniers fugitifs réclamés à la Serbie par la justice internationale sont arrêtés mi-2011, dont Mladic qui est capturé chez des parents, dans un village de Voïvodine. Il est condamné, en novembre 2017, à la perpétuité pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Dix-huit mois plus tôt, Karadzic avait écopé de quarante ans de prison pour les mêmes chefs d’accusation. En revanche, Seselj a été acquitté, les juges estimant que son recrutement de volontaires était permis par la Constitution yougoslave et ne visait qu’à « soutenir l’effort de guerre », pas à commettre des crimes. La qualification de génocide, pour le conflit ayant opposé les Serbes et les Croates de 1991 à 1995, avait d’ailleurs été rejetée en février 2015 par la Cour internationale de justice : ses juges avaient estimé que, en dépit des crimes de guerre et déplacements commis, chacun des deux peuples n’avait pas l’intention de détruire l’autre. En revanche, l’ancien chef d’état-major de l’armée serbe Momcilo Perisic est condamné en 2011 à vingt-sept ans de prison pour avoir fourni un soutien financier et logistique aux Serbes de Bosnie et de Croatie et les avoir aidés à perpétrer des crimes de guerre. De même, l’ancien chef militaire de l’Herceg Bosna se suicide en plein tribunal en novembre 2017, à l’énoncé des verdicts (jusqu’à vingt-cinq ans de prison) prononcés contre lui et les responsables Bosno-Croates ayant combattu les Bosniaques en 1993-1994. Son acte survient juste avant la disparition du TPIY (exception faite des procédures d’appel).
[1] Gotovina sera acquitté en appel, fin 2012.