Boko Haram et les tensions religieuses au Nigeria

Né au Nord-Est du Nigeria, le mouvement islamiste Boko Haram a essaimé dans les zones frontalières du Niger, du Tchad et du Cameroun (cf. Encadré).

Avant même la naissance de la secte Boko Haram (« l’éducation occidentale est impure » en mélange d’arabe et de haoussa), le Nigeria connait des vagues meurtrières d’affrontements ethnico-religieux, dans le Nord et dans les États de la « Middle belt » où cohabitent petites ethnies locales chrétiennes ou animistes (Tiv, Jukun, Nupé, Berom, Tarok…) et grands groupes musulmans issus du Nord (Haoussa, Fulani ou Peul). A la fin des années 1980, l’armée réprime le mouvement d’un prédicateur radical, originaire de l’extrême nord-Cameroun, surnommé Maitatsine (« celui qui maudit » en haoussa). Ses partisans, les Yan Tatsine, ayant multiplié les attaques contre des personnalités religieuses et les forces de police (et essayé d’envahir la grande mosquée de Kano, la deuxième plus grande ville du pays), les militaires interviennent et tuent environ 6 000 personnes, y compris Maitatsine. Son mouvement lui survit et se manifeste par des violences au cours des années suivantes, en particulier à Maiduguri (capitale de l’État de Borno), Kaduna et Bauchi. En 1996-1997, des affrontements opposent – également dans le Nord – la police aux fondamentalistes de la « Harka islamiya » (présentés comme « chiites », parce-que soutenus par l’Iran mais en réalité souvent sunnites) après l’arrestation, à Zaria, de leur chef, le « cheikh » Zakzaki (mouvement qui continue à se manifester occasionnellement dans les années 2010, cf. Nigeria).

Les violences atteignent des sommets à l’automne 2001 : plus de cinq cents personnes sont tuées dans le centre du pays, en particulier autour de la ville de Jos, à majorité chrétienne mais à forte minorité musulmane, chaque communauté essayant de prendre le contrôle du quartier des affaires et des institutions de la capitale de l’État du Plateau. Alors que les Américains bombardent l’Afghanistan, des centaines de jeunes musulmans (se réclamant des « Musulmans révolutionnaires » du cheikh El-Zak Zaki) s’en prennent par ailleurs aux chrétiens à Kano, mais aussi à des Yoruba et Ibo de confession musulmane. Les émeutes, pillages et massacres font près de deux cents morts. Dans l’État de Benue, le meurtre de soldats par des miliciens de l’ethnie Tiv provoque de sanglantes représailles de l’armée, qui détruit le marché de la ville concernée et y tue plus d’une centaine de personnes. Les violences entrent dans une spirale sans fin, qui prend une dimension nationale : ainsi, en 2004, des miliciens chrétiens tuent plus de six cents musulmans dans la ville de Yelwa (État du Plateau), après le meurtre d’une quarantaine de chrétiens par des nomades Fulani à l’intérieur d’une église ; en réaction, des émeutes anti-chrétiennes sont déclenchées dans l’État de Kano. En 2006, l’incendie d’églises et de magasins chrétiens dans la région de Maiduguri conduit des Ibo à s’en prendre aux Haoussa et à leurs mosquées dans l’État sudiste d’Anambra.


Les violences changent encore de dimension à la fin de la décennie. En 2009, des affrontements opposent les forces de l’ordre à des islamistes radicaux dans la capitale de l’État de Bauchi (Nord-Est), où les insurgés ont lancé une attaque contre un poste de police, pour libérer certains de leurs chefs arrêtés. Apparemment coordonnées, les violences gagnent trois autres États nordistes (Kano, Yobe et Borno) et font plus de sept cents morts, dont le chef des fondamentalistes, Mohamed Yusuf, et son second. Les islamistes se revendiquent d’une secte fondée en 2002 dans une mosquée de Maiduguri, sous le nom abrégé de Boko Haram (son nom complet étant Jama’atu Ahlis-Sunna Lidda’awati Wal Jihad, Disciples du Prophète pour la propagation de ses enseignements par le jihad). Elle est issue des « talibans nigérians », une mouvance sans rapport avec ceux d’Afghanistan qui descend en fait du Maitatsine (comme le groupe Kala Kato) : apparue en 2004, elle est réfugiée dans le massif volcanique du Mandara, à la frontière du Nigeria et du Nord-Cameroun. En rupture avec les confréries soufies de la région, Boko Haram préconise l’application d’un islam rigoriste, sans que ses membres en soient eux-mêmes adeptes : un certain nombre croient aux forces de l’invisible et se protègent avec des amulettes. A partir de 2011, Boko Haram multiplie les actions violentes (des centaines de morts), contre les églises, mais aussi les débits de boisson et de jeu (considérés comme des lieux de débauche) et les commissariats. Un attentat contre le siège de l’ONU à Abuja fait une vingtaine de morts. Les violences culminent durant les fêtes de Noël, dans la capitale fédérale, à Damaturu (capitale de l’État de Yobe) et plusieurs villes du Nord et du Nord-Est, à l’expiration de l’ultimatum fixé par Boko Haram aux chrétiens pour qu’ils quittent ces régions. En janvier 2012, Boko Haram lance des attaques coordonnées (kamikaze, engins piégés, tirs d’armes) contre des bureaux de police et de l’immigration de Kano, face au refus du gouvernement de libérer certains de ses membres. A Maiduguri, un commando armé ouvre le feu sur un marché et lance des explosifs dans la foule. Cette violence aveugle provoque la scission du mouvement Ansaru : le Jama’atu Ansarul Musilimina fi Biladin Sudan (son nom complet signifiant « avant-garde pour la défense des musulmans en Afrique noire ») affiche un discours pan-islamiste qui lui fait reprocher à Boko Haram de s’en prendre à des Nigérians, même non musulmans, alors qu’à ses yeux il faut viser exclusivement les « vrais ennemis » de l’islam que sont les Occidentaux, notamment par des enlèvements et des exécutions d’otages.

Le cycle de violences est aussi alimenté par la force conjointe (armée-police-services secrets), qui a été créée pour lutter contre l’insurrection et se livre à des représailles sans discernement, au même titre que les Civilian Joint Task Forces (CJTF) : supposées aider l’armée, ces milices d’autodéfense sont composées de commerçants, de pêcheurs, de chasseurs traditionnels et de gangs locaux. Certains de ces derniers utilisent aussi le paravent islamiste pour se livrer à leurs activités criminelles, telles que le vol de bétail. Selon de nombreux observateurs, Boko Haram est elle-même instrumentalisée par des politiciens nordistes, notamment Haoussa et Fulani, qui agitent le spectre du chaos par crainte d’être marginalisés au sein des institutions fédérales. Le Président Goodluck Jonathan a en effet favorisé les intérêts sudistes dans la gestion de la manne pétrolière et promu de nombreux officiers Tiv en remplacement de Peul. Mais les politiciens nordistes ont progressivement perdu le contrôle de la secte, au fur et à mesure qu’elle se rapprochait d’Al-Qaida.

La constitution de milices d’autodéfense citoyennes pousse Boko Haram à viser toutes sortes de cibles (mariages, mosquées, gares routières, centres commerciaux, lieux de diffusion de matchs de football) et à s’en prendre en particulier aux lycéens et étudiants. En 2014, plus de deux cents lycéennes chrétiennes sont enlevées à Chibok, une ville du Borno… alors que l’armée avait été prévenue de l’imminence d’une attaque. La plupart des jeunes filles sont converties à l’islam, mariées de force, transformées en domestiques et utilisées comme boucliers humains ; elles sont transférées au Tchad et au Cameroun où Boko Haram dispose de bases arrières avec les monts Mandara et la forêt de Sambisa (20 000 km², au sud-ouest du parc du lac Tchad et au sud-est de Maiduguri).


A l’été 2014, Boko Haram ne se contente plus de raids ponctuels et, parallèlement à la poursuite d’attentats (dont certains commis par des femmes et même des fillettes), commence à occuper, militairement et administrativement, des localités entières dans les États du Borno et de Yobe. Son chef proclame même le califat dans l’une d’elles, Gwoza. Même prévenues de l’arrivée des djihadistes, les forces nigérianes n’opposent pas de résistance : elles s’enfuient par centaines, abandonnant parfois du matériel, ou bien refusent de sortir de leurs casernes, arguant qu’elles n’ont pas reçu l’armement pour affronter efficacement des insurgés de plus en plus lourdement armés, grâce aux équipements pris à l’armée, mais aussi aux armes arrivant de Libye et du Soudan via diverses filières de trafic. A Mubi, au nord de l’Adamawa, les militaires présents ne tirent pas le moindre coup de feu et s’enfuient, laissant aux mains de Boko-Haram les stocks d’armement qui avaient été constitués pour lancer une offensive contre le mouvement. A défaut d’opérations terrestres, l’armée répond par des bombardements aériens aveugles qui font parfois des dizaines de victimes civils, au Nigeria et même au Niger.

Compte-tenu des défaillances des militaires, l’émir de Kano – deuxième plus haut responsable musulman du pays (après le sultan de Sokoto) – appelle les Nigérians à prendre les armes pour se défendre. La réponse de Boko Haram ne se fait pas attendre : la grande mosquée de Kano est visée par un double attentat-suicide, suivi d’un mitraillage, lors de la grande prière du vendredi (plus de cent morts). Quelques jours plus tôt, dans le Borno, les islamistes avait massacré des commerçants partis acheter du poisson au Tchad : ils sont égorgés ou noyés dans le lac, à quelques kilomètres de la base de la Force multinationale déployée dans la région. Avec plus de 6 600 morts à son « actif » en 2014, Boko-Haram est considéré comme le groupe le plus meurtrier au monde, devant Daech (État islamique). De 2009 à 2017, les violences déclenchées par Boko Haram ont fait 20 000 morts déplacé 2,6 millions de personnes.

En 2015, le mouvement perd plusieurs localités, dont la capitale de son « califat », du fait de l’ouverture d’un nouveau front par les armées tchadienne et nigérienne, au Sud-Est du Niger, ainsi que d’une remise en ordre d’une armée nigériane largement corrompue. Selon une commission d’enquête, mise en place par le nouveau chef de l’État, sur un peu plus de cinq milliards $ alloués aux forces de sécurité, deux milliards auraient été détournés sous la forme de commandes fictives passées par le bureau de l’influent conseiller national pour la sécurité (descendant du fondateur du sultanat de Sokoto). L’armée nigériane lance également une opération de reconquête de la forêt de Sambisa, qui lui permet de libérer près de sept cents femmes et filles détenues par les islamistes. Mais le groupe est loin de désarmer : obligé d’abandonner les territoires conquis pour repasser dans la clandestinité, il abandonne la lutte frontale pour des opérations suicides régulières et des attentats extrêmement meurtriers dans toute sa sphère d’influence.


Affaiblie, la secte s’éloigne de la mouvance Al-Qaida et proclame son allégeance à l’organisation rivale de l’État islamique (EI) qui, en août 2016, exclut son chef historique Abubakar Shekau, considéré comme un dément dépourvu de stratégie, un déviant mafieux de plus en plus éloigné de l’orthodoxie islamique (au point de massacrer des musulmans) et des préceptes du fondateur Mohammed Yusuf. Le nouveau chef intronisé par l’EI, Abou Moussab al-Barnaoui, serait d’ailleurs un fils de ce dernier. Implantée principalement sur le lac Tchad et dans l’ouest de la forêt de Sambisa, la Province ouest-africaine de l’EI (ISWAP) entend s’éloigner de certaines pratiques plus ou moins animistes (comme attacher l’œsophage des victimes égorgées sur les armes, en guise de blindage) et s’attaquer préférentiellement aux chrétiens et aux forces armées. Rompant avec la brutalité de Shekau, elle offre même des vivres et des médicaments aux populations déshéritées des zones qu’elle contrôle, avec l’ambition d’exercer son influence jusqu’en Centrafrique et en Mauritanie. Elle exclut en revanche toute négociation avec le pouvoir : les numéros deux et trois de l’ISWAP sont éliminés physiquement par les radicaux du mouvement à l’été 2018, parce qu’accusés d’avoir libéré des otages sans toucher de rançon et de négocier leur propre reddition. De son côté, la faction de Shekau (dirigée principalement par des Kanouri) est affaiblie, mais reste présente dans l’est de la forêt de Sambisa, ainsi qu’à la frontière avec le Cameroun et dans la région de Maiduguri : elle prend le nom de Jamaat Ahl Al-Sunnah Lil Dawa Wal Jihad (JAS). Une troisième faction autonome, dirigée par le contrebandier Bana Blachera, opère également dans le triangle Nigeria-Tchad-Cameroun. S’y ajoute la dissidence plus ancienne d’Ansaru, qui reste proche d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique).

Les factions de l’EI et de Shekau se livrent des combats fratricides, en particulier dans la région du lac Tchad. Bien que les îles du lac soient loin de ses bases, le JAS y étend ses actions grâce au soutien de Tchadiens de l’ethnie Boudouma, des pêcheurs hostiles au gouvernement de N’Djamena. Chacune des deux factions a reconstitué ses forces. Financièrement, elles connaissent une diversification de leurs ressources, issues de multiples trafics (cigarettes, voitures, stupéfiants), du pillage de banques et du «  commerce des infidèles », activité qui englobe les prises d’otages et la revente aux réseaux de prostitution des femmes refusant de se convertir. Les djihadistes prélèvent aussi des taxes locales sur les territoires qu’ils contrôlent dans le Nord-Est du Nigeria (habitation, droit de passage, taxes sur la pêche et l’élevage) et n’hésitent pas à exécuter, en tant qu’espions, les personnes déplacées que le gouvernement incite à retourner dans leurs villages pour cultiver leurs champs. Pour en savoir plus.

En décembre 2020, Shekau revendique l’enlèvement de plus de trois cents élèves d’un lycée de l’État de Katsina, à des centaines de kilomètres de son sanctuaire du Borno : de fait, il a « sous-traité » cette opération à un des groupes criminels locaux qui se sont spécialisés dans le vol de bétail et le racket sur les routes, sur fond de conflits fonciers. En cinq ans, les affrontements entre éleveurs Peul et agriculteurs chrétiens ou animistes ont fait 7 000 morts, en particulier dans l’État de Kaduna, ainsi que dans celui de Benue, considéré comme le grenier du Nigeria ; les autorités locales y ont adopté une loi interdisant le pâturage libre et la transhumance et créé une taxe sur les éleveurs, ce qui n’a fait qu’exacerber les rivalités entre Fulani et agriculteurs Tiv.


En mai 2021, l’Iswap décide d’en finir avec Shekau, qui continue de rançonner et d’attaquer les civils jusque dans les zones que contrôle la filiale de l’EI. Attaqué dans son repaire en forêt de Sambisa, le chef historique de Boko Haram préfère activer sa ceinture d’explosifs plutôt que de se rendre. Quelques mois plus tard, l’armée annonce la mort d’al-Barnawi, peut-être tué lors d’affrontements avec le JAS, qui a repris de la vigueur avec son nouveau chef, le Boudouma Ibrahim Bakoura. Bien qu’affaiblies par les défections et leurs combats fratricides (plus meurtriers que les coups infligés par les armées de la région), les deux factions comptent encore des milliers de combattants exerçant un contrôle sur des centaines de milliers de personnes dans le Borno et aux abords du lac Tchad.

Dans le même temps, la nouvelle zone d’insécurité apparue dans le nord-ouest s’est aggravée avec la crise économique. Opérant à partir de camps situés dans la forêt de Rugu (qui s’étend sur les États de Zamfara, Katsina, Kaduna et Niger), les gangs se financent en volant du bétail, en se livrant à des enlèvements contre rançon sur les routes, en exploitant des gisements miniers de plomb et d’or, en assurant la sécurité de chefs religieux ou encore en réalisant les basses besognes de certains politiciens (intimidations, bourrages d’urnes…) et des groupes islamistes. Ces bandes armées qui comptent plusieurs dizaines de milliers de membres, parfois venus des rangs djihadistes, ont mis en coupe réglée des centaines de village du Zamfara et de Sokoto. A l’été 2021, ceux que le gouvernement appelle des bandits abattent même un avion militaire au-dessus de l’État de Zamfara, grâce à un missile sol-air, probablement arrivé de Libye.

Les violences se propagent ailleurs dans le pays. En juin 2022, des chrétiens sont massacrés, lors de la messe de Pentecôte, dans une église de l’État d’Ondo, au sud-ouest, jusqu’alors plutôt épargné même si les relations entre agriculteurs et éleveurs y sont tendues comme dans beaucoup d’autres endroits du pays. Le mois suivant, une patrouille de la garde présidentielle tombe dans une embuscade meurtrière près d’Abuja. Quelques jours plus tard, c’est un check-point de l’armée qui est attaqué au nord de la capitale fédérale.


Des métastases dans les pays voisins

Au fil des années, le terrain d’action de Boko Haram a dépassé le seul cadre nigérian et s’est étendu dans les pays frontaliers, en particulier sur les bords du lac Tchad, dont la configuration offre de nombreuses possibilités de refuge (cf. Encadré dans l’article sur le Tchad). Au printemps 2012, les cinq pays membres de la Commission du Bassin du Lac-Tchad (CBLT) décident de lancer une force mixte de sécurité dans la région, afin de lutter notamment contre le groupe islamiste. Même le Cameroun – qui, en raison de son différend avec le Nigeria au sujet de la péninsule de Bakassi (cf. Territoires disputés), avait longtemps fermé les yeux sur l’utilisation de son territoire comme base arrière par Boko Haram lui déclare la guerre, déployant ses unités d’élite qui causent de lourdes pertes à la secte… devenant du même coup l’une de ses cibles (comme l’est le Kenya pour les shebab somaliens). En mai 2014, des affrontements opposent pour la première fois les djihadistes à l’armée du Niger dans la région nigérienne de Diffa, frontalière du Borno, tandis qu’un commando lourdement armé attaque un commissariat, à l’extrême-nord du Cameroun : les assaillants s’y emparent d’armes et tuent un Chinois dans un camp de travailleurs du secteur routier ; le commando a profité que le camp était moins bien gardé que d’ordinaire, une partie de l’unité d’élite de l’armée camerounaise chargée de cette mission étant partie défiler à Yaoundé pour la fête nationale. En décembre, le Cameroun doit utiliser son aviation pour se dégager d’attaques lancées par Boko Haram sur plusieurs de ses positions militaires. Les bombardements ayant tué plusieurs proches du chef des djihadistes, lui-même originaire du nord-Cameroun par sa mère, il lance un assaut sur une base camerounaise des bords du lac Tchad et rase une quinzaine de villages alentours, faisant des centaines de morts parmi les femmes, enfants et personnes âgées n’ayant pu s’enfuir. La même région de Baga avait déjà été le théâtre, en 2013, d’un massacre (près de 200 morts), commis par l’armée nigériane, en représailles à la mort de l’un des siens dans une attaque des insurgés.

Face à la dégradation de la situation, le Tchad décide d’envoyer 1500 soldats au nord du lac Tchad (à la frontière nigéro-nigériane) et 2000 au Cameroun, afin de sécuriser la liaison entre N’Djamena et le port camerounais de Douala, son principal débouché maritime. Le mois suivant, l’armée tchadienne reprend une ville nigériane conquise par Boko Haram, en vertu du « droit de poursuite » que Abuja lui a accordé. En représailles, les islamistes massacrent une centaine d’habitants et incendient la grande mosquée de Fotokol, la ville camerounaise la plus proche. Dans la foulée, alors que le Niger s’apprête à voter l’envoi de troupes pour lutter contre Boko Haram, la secte islamiste attaque les villes nigériennes de Bosso, dans la région du lac Tchad, et de Diffa, distante d’une centaine de kilomètres. Les pays de la CBLT et le Bénin décident alors l’envoi d’une force conjointe de 8 700 hommes, militaires, policiers et civils, sous mandat de l’Union africaine. Les insurgés répondent en s’attaquant à un village de la rive tchadienne du lac, ce qui constitue leur première incursion au Tchad. A l’été 2015, des attentats suicides frappent même N’Djamena et Fotokol : ils sont commis par des kamikazes portant une burqa, ce qui conduit les autorités tchadiennes et camerounaises à interdire le port du voile intégral.

En mars 2020, près de cent soldats tchadiens sont tués par le JAS dans l’attaque de leur base sur une presqu’île du lac Tchad. Le même jour, plus de soixante-dix soldats nigérians sont victimes d’une attaque de l’ISWAP dans la région de Maidiguri, alors que leur convoi partait combattre une base rebelle. En réaction, l’armée tchadienne lance une opération de dix jours qui permet d’éliminer un millier de djihadistes jusque sur les sols nigérian et nigérien. Mais, dans la foulée, le Président tchadien annonce que ses troupes ne combattront plus les islamistes en dehors des frontières du Tchad, pour marquer sa lassitude vis-à-vis de l’inaction de la Force multinationale au Nigeria (en plus de celle du G5 au Sahel), au risque de favoriser les connexions entre les islamistes nigérians et ceux de la bande sahélienne (cf. Sahel). Le risque s’est encore accru à l’été 2023, avec le coup d’État militaire survenu au Niger, qui a rendu quasi-impossible la coopération de l’armée nigérienne avec celles de ses voisins.